lundi 24 mai 2021

Mai 68 - Le pavé de bande-dessinée

      "Soyez réalistes, demandez l'impossible".


 

    Publié en mai 2008 aux éditions du Soleil, Mai 68 constitue un album collaboratif coordonné par Clotilde Vu et Jean Wacquet. Ce dernier explique en préambule : "Cet ouvrage n'a aucune prétention ou vocation politique ou idéologique. Il n'est que le regard de créateurs issus de plusieurs générations qui disposent, outre leurs talents respectifs, de l'un des plus formidables outils de communication qui soit..."

    Mai 68 est porteur d'idéaux, chargé d'histoire, et de mythes. 40 ans plus tard, où en sommes-nous ? Les slogans des manifestations sont identiques : "Il est interdit d'interdire", ou encore "CRS - SS".  Chaque histoire est précédée d'une page de garde relatant les événements d'une date clé de 1968 ainsi que des citations et des slogans.

    Sur les planches d'Olivier Dutto et Florent Bonin, "Chers consommateurs ! 40 ans après mai 68", l'humour est également de mise. Il est ici question de l'avancée de la technologie. Dans la dernière case, ce personnage de 2008, en pensant à ces 40 années d'évolution technologique, ou plutôt de destruction (déforestation, clonage...), "a envie de lancer des pavés" !


    La même idée de bilan, 40 ans plus tard, se retrouve également chez Gaston. Mai 68 - Mai 2008 : qu'est-ce qui a changé ? Les planches se divisent selon la forme d'un tableau imaginaire, sur deux colonnes : d'un côté ce qui était en mai 68, de l'autre ce qui est en mai 2008. De même que chez Olivier Dutto et Florent Bonin, la dernière case représente le désemparement du personnage sur les 40 années écoulées.

 

 

    Les différents protagonistes de mai 68 y sont représentés : les grévistes, mais aussi les non-grévistes et les forces de l'ordre. Laurent Panetier et Fich expriment, à travers leurs planches pleines d'ironie, la dictature du prolétariat : mai 68, c'est aussi la dictature des grévistes envers les non-grévistes, grévistes qui clament la liberté mais pas celle de ne pas faire grève. Ici, un non-gréviste se voit contraint d'arrêter de travailler, "manu miltari", par les grévistes. Ironie du sort : c'est ce réfractaire à la révolution qui, par son travail, fournissait les munitions aux soixante-huitards ! Ces derniers ne peuvent plus manifester, ils sont à court de pavés ! Quant à Jean-David Morvan et Bruno Bessadi, ils prennent le parti de montrer les pensées d'un CRS qui ne voulait qu'une chose, partir en vacances à l'autre bout du monde, comme il l'avait prévu. Face aux événements, il est contraint de rester. Aussi tranquille qu'apparaît cet homme qui ne souhaite que se faire la malle au soleil, le conditionnement et le bourrage de crâne qu'il subit le montrent, à la fin de l'histoire, empreint d'une grande agressivité : il n'arrive plus à penser et se transforme en un homme ayant "envie de frapper du manifestant", quel qu'il soit.

    Par son apparition à plusieurs reprises dans cet album où s’enchaînent de courtes planches de différents contributeurs, "Mon kiosque en mai", de Farid Boudjellal, installe un fil conducteur à l'ouvrage à travers la presse de ce mois de 1968.

 

    Ainsi les différents collaborateurs de cet ouvrage expriment-ils, toujours avec humour, leur vision de ce mois mythique de l'année 1968.

Katharina Greve, Le Gratte-ciel - 102 étages de vie : 58 pages de surprises et de plaisir

 

    

    Le Gratte-ciel, publié en 2017 en Allemagne aux éditions avant-verlag, puis en France en 2018 aux éditions Actes Sud, traduit de l'allemand par Paul Derouet, constitue la quatrième bande-dessinée de Katharina Greve, auteure et dessinatrice allemande. Le prix Max und Moritz de la meilleure bande-dessinée lui a été attribué pour cet album en 2016. 

     La lecture horizontale, de bas en haut, étage après étage, dont les scènes se font écho, fait de cet album un réel plaisir de lecteur : un colis adressé au 5e étage arrive au rez-de-chaussée, de futurs locataires débarquent au 4e pour une visite au 8e, cambriolages aux 10, 11 et 45e, le petit garçon du 17e sort le chien des voisins du 14e, ceux du 91e épient les complotistes du 90e... 

 

 

 

     Discussions politiques et sociétales, enfants, grabataires, voyante, témoins de Jéhovah : autant de scènes de vie reflétant une vision hétéroclite de la société que d'étages qui s'organisent tous, picturalement, selon un cadre spatiale identique (cuisine, entrée, salon, pignon extérieur), et non selon un cadre temporel comme il est d'usage en bande-dessinée. Originalité et humour sont ainsi au rendez-vous, tant sur le plan scénaristique que pictural. Nous n'aurions qu'une envie : qu'il y ait 100 étages de plus à se régaler !