dimanche 5 novembre 2023
Transports amoureux - Nouvelles ferroviaires
samedi 9 avril 2022
Gaëlle Josse, Noces de neige : deux voyages, deux époques, deux destins liés.
9 mars 1881 : Anna Alexandrovna, jeune aristocrate russe de seize ans, prend place à bord du train en gare de Nice, avec sa famille et leur gouvernante, Mathilde. Cinq jours de voyage afin de rentrer de leurs vacances, chez eux, à Saint-Pétersbourg.
Anna est une aristocrate passionnée d'équitation, discipline dans laquelle elle excelle. Elle est promise à Dimitri dont elle est follement amoureuse. Irina est issue d'un milieu modeste. Elle rêve d'amour, de se marier, de fonder une famille. Bien qu'elle discute avec Enzo par le prisme d'un écran depuis des mois, elle ne le connait pas et, pourtant, espère qu'il sera le père de ses enfants. Toutes deux, à plus d'un siècle d'écart, effectuent le même voyage ferroviaire, en sens inverse, afin de retrouver respectivement celui qu'elles pensent et espèrent être l'amour de leurs vies.
Noces de neige de Gaëlle Josse, publié en 2013 aux éditions Autrement, alterne et fait s'entrelacer, d'un chapitre à l'autre, le voyage d'Anna et celui d'Irina. Deux huit clos qui s'entremêlent. Les doutes et pensées des deux protagonistes y sont retranscrits avec finesse. S'ajoutent, au cours de ces quelques jours, pour les deux jeunes filles, de nombreux rebondissements des plus inattendus qui ne peuvent, par l'émotion, l'attente et la souffrance, que tenir le lecteur en haleine jusqu'à la dernière ligne. Si ce roman constitue, de prime abord, celui de deux jeunes filles que tout oppose qui, à un siècle d'écart, effectuent le même voyage, en sens inverse, pour aller trouver l'amour, leurs destins demeurent bien plus liés qu'il n'y parait. Par cette œuvre des plus réussies, l'auteure nous livre un récit des plus déconcertants.
lundi 24 mai 2021
Mai 68 - Le pavé de bande-dessinée
"Soyez réalistes, demandez l'impossible".
Publié en mai 2008 aux éditions du Soleil, Mai 68 constitue un album collaboratif coordonné par Clotilde Vu et Jean Wacquet. Ce dernier explique en préambule : "Cet ouvrage n'a aucune prétention ou vocation politique ou idéologique. Il n'est que le regard de créateurs issus de plusieurs générations qui disposent, outre leurs talents respectifs, de l'un des plus formidables outils de communication qui soit..."
Mai 68 est porteur d'idéaux, chargé d'histoire, et de mythes. 40 ans plus tard, où en sommes-nous ? Les slogans des manifestations sont identiques : "Il est interdit d'interdire", ou encore "CRS - SS". Chaque histoire est précédée d'une page de garde relatant les événements d'une date clé de 1968 ainsi que des citations et des slogans.
Sur les planches d'Olivier Dutto et Florent Bonin, "Chers consommateurs ! 40 ans après mai 68", l'humour est également de mise. Il est ici question de l'avancée de la technologie. Dans la dernière case, ce personnage de 2008, en pensant à ces 40 années d'évolution technologique, ou plutôt de destruction (déforestation, clonage...), "a envie de lancer des pavés" !
La même idée de bilan, 40 ans plus tard, se retrouve également chez Gaston. Mai 68 - Mai 2008 : qu'est-ce qui a changé ? Les planches se divisent selon la forme d'un tableau imaginaire, sur deux colonnes : d'un côté ce qui était en mai 68, de l'autre ce qui est en mai 2008. De même que chez Olivier Dutto et Florent Bonin, la dernière case représente le désemparement du personnage sur les 40 années écoulées.
Les différents protagonistes de mai 68 y sont représentés : les grévistes, mais aussi les non-grévistes et les forces de l'ordre. Laurent Panetier et Fich expriment, à travers leurs planches pleines d'ironie, la dictature du prolétariat : mai 68, c'est aussi la
dictature des grévistes envers les non-grévistes, grévistes qui clament
la liberté mais pas celle de ne pas faire grève. Ici, un non-gréviste se
voit contraint d'arrêter de travailler, "manu miltari", par les
grévistes. Ironie du sort : c'est ce réfractaire à la révolution qui,
par son travail, fournissait les munitions aux soixante-huitards ! Ces
derniers ne peuvent plus manifester, ils sont à court de pavés ! Quant à Jean-David Morvan et Bruno Bessadi, ils prennent le parti de montrer les pensées d'un CRS qui ne voulait qu'une chose, partir en vacances à l'autre bout du monde, comme il l'avait prévu. Face aux événements, il est contraint de rester. Aussi tranquille qu'apparaît cet homme qui ne souhaite que se faire la malle au soleil, le conditionnement et le bourrage de crâne qu'il subit le montrent, à la fin de l'histoire, empreint d'une grande agressivité : il n'arrive plus à penser et se transforme en un homme ayant "envie de frapper du manifestant", quel qu'il soit.
Par son apparition à plusieurs reprises dans cet album où s’enchaînent de courtes planches de différents contributeurs, "Mon kiosque en mai", de Farid Boudjellal, installe un fil conducteur à l'ouvrage à travers la presse de ce mois de 1968.
Ainsi les différents collaborateurs de cet ouvrage expriment-ils, toujours avec humour, leur vision de ce mois mythique de l'année 1968.
Katharina Greve, Le Gratte-ciel - 102 étages de vie : 58 pages de surprises et de plaisir
Le Gratte-ciel, publié en 2017 en Allemagne aux éditions avant-verlag, puis en France en 2018 aux éditions Actes Sud, traduit de l'allemand par Paul Derouet, constitue la quatrième bande-dessinée de Katharina Greve, auteure et dessinatrice allemande. Le prix Max und Moritz de la meilleure bande-dessinée lui a été attribué pour cet album en 2016.
La lecture horizontale, de bas en haut, étage après étage, dont les scènes se font écho, fait de cet album un réel plaisir de lecteur : un colis adressé au 5e étage arrive au rez-de-chaussée, de futurs locataires débarquent au 4e pour une visite au 8e, cambriolages aux 10, 11 et 45e, le petit garçon du 17e sort le chien des voisins du 14e, ceux du 91e épient les complotistes du 90e...
Discussions politiques et sociétales, enfants, grabataires, voyante, témoins de Jéhovah : autant de scènes de vie reflétant une vision hétéroclite de la société que d'étages qui s'organisent tous, picturalement, selon un cadre spatiale identique (cuisine, entrée, salon, pignon extérieur), et non selon un cadre temporel comme il est d'usage en bande-dessinée. Originalité et humour sont ainsi au rendez-vous, tant sur le plan scénaristique que pictural. Nous n'aurions qu'une envie : qu'il y ait 100 étages de plus à se régaler !
dimanche 7 février 2021
Bonne année ! 10 réveillons littéraires
Bonne année ! 10 réveillons littéraires, publié en 2018 aux éditions Gallimard, constitue un court recueil de textes de différents auteurs de diverses nationalités et de diverses époques ayant écrit sur ce fameux passage à la nouvelle année donnant lieu à des formes littéraires et des considérations des plus variées. Forme narrative ou épistolaire, le lecteur se plonge dans une sorte de féerie et de mystère en cette dernière soirée de l'année. Émotion et humour sont rendez-vous.
De Ludmila Oulitskaïa à Louis Aragon, en passant par Guy de Maupassant et Georges Simenon ainsi que par la forme épistolaire avec Simone de Beauvoir et Louis Ferdinand Céline, les 31 décembre de ces auteurs sont d'une grande variété qui fait la richesse de ce recueil. L'auteur de Voyage au bout de la nuit clôture l'ouvrage avec sa fameuse lettre à son éditeur, Gaston Gallimard, en date du 1er janvier 1953, de laquelle le lecteur ne peut que sourire : "Tous ces vœux sont je n'en doute pas sincères, très sincères, mais nuls plus sincères que les miens ! au point qu'à la date du premier février prochain, c'est-à-dire dans 31 jours je vais demander une avance d'un million de francs, pour que mon année à venir ne devienne point trop tragique, matériellement". Quoi de plus sincère, en effet !
Quant à Simenon, en 1939, dans Le Bourgmestre de Furnes, il écrit, avec humour et de manière très juste, ce que l'on pourrait encore penser aujourd'hui du passage de cette nouvelle année en ces temps de troubles : "Encore une terrible année de finie et une terrible année qui commence."
mardi 22 décembre 2020
Le Goût de Noël
"Noël est, non pas seulement pour les chrétiens convaincus et pratiquants, mais aussi pour tous sans exception, l'une des fêtes principales de l'année, au même titre que la fête patronale."
Arnold Van Gennep, Manuel de folklore contemporain, Tome premier, 1958.
Organisé selon trois parties thématiques : "Mon beau sapin", "Ite Missa est" et "Minuit, chrétiens : l'heure du crime !", ce petit recueil d'extraits de textes littéraires, de Clément Marot à Truman Capote, en passant par Guy de Maupassant, Dostoïevski ou encore Selma Lagerlöf, offre au lecteur différents aspects de cette fameuse nuit du 24 décembre. Elle représente, pour les uns, des instants emprunts de souvenirs d'enfance et de magie, pour les autres, une mélancolie, une angoisse, tandis que certains laissent libre cours à leur imagination dans le registre du fantastique et que quelques-uns, tels Alphonse Allais, n'hésitent pas à livrer des histoires rocambolesques remplies d'humour.
Ce petit recueil sur la thématique de Noël plonge le lecteur dans différentes atmosphères, joyeuses ou mélancoliques, émouvantes ou pleines d'humour, chrétiennes ou païennes, à travers les âges et les cultures. Ces différents textes offrent une jolie représentation de ce que Noël a pu inspirer à la littérature et, quelle que soit la vision de chacun de ces festivités, tout lecteur peut y trouver une sensibilité, une affection qui lui sera propre, à un instant de ces lectures, grâce à la grande diversité culturelle et stylistique qu'elles comportent.
"Et cela constitue le plus grand des plaisirs de Noël. Rien ne peut surpasser le bonheur de se trouver là, avec dans les mains un livre plaisant reçu en cadeau de Noël, un livre que l'on n'avait jamais vu auparavant et que personne d'autre dans cette maison ne connaît non plus, et de savoir que l'on pourra en lire les pages l'une après l'autre, pour autant que l'on sache rester éveillé. Mais que faire durant la nuit de Noël si l'on n'a pas reçu de livre ?"
Selma Lagerlöf, Le Livre de Nöel, 1994 (publication posthume)
vendredi 11 décembre 2020
Jean-Louis Gabriel Benoit, Rue des rêves : les considérations d'un jeune agrégé thésard
Albin vit désormais entre Marseille, sa ville d'origine, chez son père, dans la cité Lyautey aux Baumettes, et Saint-Cloud, où il loge chez Hervé, son ancien cothurne et ami. Après l'année d'agreg, Rue des rêves est consacré à l'année de thèse du protagoniste. Ce jeune normalien agrégé de philosophie cherche sa voie. Et pour cause, lors du décès de sa mère, dans Le Petit chemin de Saint-cloud, Albin avait eu une révélation spirituelle. Par ailleurs, il avait connu une déception amoureuse avec Aurélie. Suite à cette année riche en émotions personnelles et intellectuelles par ses nombreuses lectures, un travail acharné, la participation à différents débats avec ses camarades, ce jeune homme décide alors de faire une thèse qui n'est pas des plus communes pour un philosophe, puisqu'il décide de choisir la pluridisciplinarité envers laquelle ses camarades et son directeur de thèse le mettront en garde quant au risque d'un tel sujet néanmoins pour le plus intéressant. Albin commence donc une thèse qui s'intitulera Poétique du langage délirant, à l'Université de Paris 8, sous la direction du célèbre linguiste, Henri Meschonnic, qui reçoit son sujet avec beaucoup d'intérêt. Il est question pour Albin d'étudier le langage des malades mentaux. Pour ce faire, le jeune homme parvient à visiter un hôpital psychiatrique et à y rencontrer des malades. Il lit et relit Lacan avec beaucoup d'attention, mène des recherches en psychiatrie ainsi qu'en linguistique.
Outre ses recherches, Albin est également chargé de cours à la faculté de Lettres, afin de rendre service à un ami qui ne souhaitait pas effectuer d'heures supplémentaires. Le jeune thésard accepte alors de découvrir encore une autre discipline qui n'est pas la sienne : la littérature. Il décide de donner ses cours sur Paul Eluard, qu'il découvre et qu'il affectionne beaucoup.
Lors de ses visites à l'hôpital psychiatrique en vue de ses recherches, Albin fait notamment la connaissance de Pénélope, jeune femme d'origine portugaise et de la communauté des gens du voyage, qui habite dans la cité de La Rouguière. Peu à peu, leurs échanges dépassent le plan professionnel puisqu'ils tombent amoureux l'un de l'autre. Mais pour Albin, ce n'est pas si simple : il est également amoureux de l'une de ses étudiantes, Madleen : "Cette fille équilibrée, belle, douée représentait un mirage de bonheur". Voilà le protagoniste tiraillé entre diverses disciplines intellectuelles et diverses amours. Ainsi le narrateur écrit-il qu'Albin "dénonçait implicitement le vagabondage prôné par les surréalistes et lui, comme Eluard, passait d'un amour à l'autre. Il devait bien se l'avouer. Ces deux filles lui plaisaient et il leur plaisait aussi, il en était sûr. [...] les événements qui devraient se produire (adventura) il les imaginait guidés par la Providence, qui l'amènerait à trouver un sens à sa vie, à discerner, à choisir tout simplement, comme tout adulte doit savoir le faire." En effet, outre sa quête sentimentale et intellectuelle, Albin est, comme il a été évoqué plus haut, au cœur d'une véritable quête spirituelle qui est exposée tout au long du roman, et le jeune homme tente ainsi d'appliquer les valeurs religieuses qui lui sont chères.
Ce deuxième roman de l'auteur, dont on comprend le titre lors du réveillon du nouvel an où Albin emmène avec lui Pénélope chez son ami Patrick qui demeure justement "rue des rêves", constitue un roman initiatique qui, tout comme Le Petit chemin de Saint-Cloud, est ponctué de nombreuses références littéraires, philosophiques et culturelles diverses, ce qui comporte un véritable intérêt, une curiosité, et l'apprentissage de maintes choses pour le lecteur. Les discussions avec Hervé et d'autres camarades se poursuivent et mènent le lecteur à une réflexion sur maintes sujets. L'autre fil conducteur du roman est l'amour, les sentiments amoureux du protagoniste. Pénélope, Madleen : deux filles charmantes mais différentes qui tourmentent le personnage et entre lesquelles il fera un choix à la fin du roman. Cet ouvrage constitue un intérêt intellectuel très riche avec les aventures d'un personnage touchant, attachant, toujours en construction et en quête d'identité.