dimanche 25 août 2024

Mélissa Da Costa, Tout le bleu du ciel

 

  

    Tout le bleu du ciel, premier roman de Mélissa Da Costa : un livre qui donne tout simplement envie de vivre ! Cet ouvrage est un véritable bijou. Emile, 26 ans, condamné prématurément en raison d'un Alzheimer précoce, décide de fuir l'essai clinique auquel il doit participer, afin de vivre pleinement les derniers moments de sa vie. Il poste une petite annonce sur internet pour trouver un compagnon de route qui accepterait de partir avec lui à l'aventure, en camping-car. Joanne, jeune bretonne énigmatique de 29 ans, lui répond immédiatement de façon positive. Tous deux, ils vont sillonner les Pyrénées, le Sud de la France. Il ne se connaissent pas, ils sont très différents, mais vont beaucoup s'apporter émotionnellement et intellectuellement. 

    " La vie n'en a jamais terminé. Il l'a bien compris. Tant qu'il décidera qu'il n'est pas mort, elle continuera de lui jouer de drôles de tours. Et il n'est pas encore mort. Au contraire. Il ne s'est jamais senti aussi vivant."
De belles rencontres les attendent, de magnifiques paysages et une renaissance s'installent pour les deux personnages qui se reconnectent à l'essentiel, aux petits plaisirs du quotidien et de la nature : à la vie, tout simplement.

dimanche 18 août 2024

Agathe Ruga, Sous le soleil de tes cheveux blonds

 

    Sous le soleil de tes cheveux blonds, premier roman d'Agathe Ruga, constitue un long monologue intérieur dans lequel la narratrice, Brune, s'adresse à Brigitte, son amie de toujours, de qui elle n'a plus aucune nouvelle depuis plusieurs années, à la fin d'ultimes vacances passées ensemble. Brune n'a jamais compris les raisons de cette rupture dont elle souffre terriblement : "Tu m'as quittée, tu nous as quittées. Pas un jour ne passe sans un souvenir de nous et de nos fêtes intérieures. Tu es ma plus belle robe de soirée, mon champagne le plus euphorisant, mon plus long SMS. Mon plus bel amour inachevé." Enceinte, c'est l'occasion pour elle, voire le besoin, de se remémorer leurs vies, leurs amours, leurs études, les bons et les mauvais moments d'une amitié fusionnelle qui s'est éteinte sans explication. 

    À travers ce récit touchant où Brune s'adresse directement à son amie, le lecteur revit pleinement la jeunesse et l'évolution des deux amies, avec beaucoup de nostalgie, d'émotions, dans lesquelles il ne peut que se reconnaître dans l'une des péripéties ou des émotions, dans un style fluide, touchant et emprunt d'humour.

dimanche 11 août 2024

Rosella Postorino, La Goûteuse d'Hitler

    1943. Rosa vit chez ses beaux-parents en Prusse Orientale et est recrutée en tant que goûteuse d'Hitler. A chaque repas, qui paradoxalement lui permet de se nourrir en cette période de guerre, elle et les autres goûteuses savent que chaque repas porté par les SS peut être le dernier. La boule au ventre, elles s'exécutent. Une heure suffit pour savoir si elle seront toujours en vie.

    Pour son quatrième roman, Rosellla Postorino s'est inspirée de l'histoire vraie de Margot Wôlk. Son ouvrage ne prétend néanmoins pas être un récit historique, mais plutôt une fresque de la vie d'une jeune femme de 26 ans, dont le mari est parti à la guerre en Russie. Un monologue intérieur de la protagoniste se mêle au rituel du réfectoire, notamment au cours de cette fameuse heure interminable de l’éventuelle bouchée de la mort. Rosa revient notamment sur son enfance à Berlin, la rencontre avec son mari. De plus, des liens amicaux se tissent avec les autres goûteuses, plus ou moins forts et parfois emprunts de jalousie et de tension. La romance qui rythme le quotidien de goûteuse fait de ce livre, au style très fluide et agréable, une œuvre touchante et originale sur cette thématique des goûteuses d'Hitler, tout en finesse et pleine de sensibilité.

mercredi 31 juillet 2024

Le Parfum de Patrick Süskind : un roman olfactif

     Patrick Süskind publie Le Parfum, roman olfactif, en 1985, puis en 1986 pour la traduction française de l’allemand par Bernard Lortholary, en 1986, aux éditions Fayard.

    La vie de Jean-Baptiste Grenouille commençait mal : il naît derrière l’étal de la poissonnerie de sa mère qui l’abandonne. Il est confié à une première nourrice, qui ne veut plus de lui, car le trouve étrange. Notamment, il n’a pas d’odeur, et elle a le sentiment qu’il la regarde non pas avec les yeux mais avec le nez. Mme Gaillard, elle, accepte de le prendre. Elle est sans foi ni loi et ne fait pas dans la dentelle. A l’arrêt de la pension qui lui avait été attribuée pour l’enfant, elle le laisse chez un tanneur où il travaille dur, dans des odeurs et des conditions abominables. En grandissant, à l’âge de six ans, Grenouille ne ressent aucun sentiment. Il ne ressent que les odeurs olfactives de manière exacerbée : « À six ans, il avait totalement exploré olfactivement le monde qui l’entourait. » À treize ans, « l’instinct de chasse le prit ; Il avait à sa disposition la plus grande réserve d’odeurs du monde : la ville de Paris. »

    La première fois que Grenouille se sentit véritablement vivant fut le 1er septembre 1753 lors du feu d’artifice pour l’anniversaire de l’accession au trône du roi Louis XV. Grenouille s’apprêtait à rentrer car « il s’avéra bien vite que, sous le rapport des odeurs, ce feu d’artifice n’avait rien à lui apporter ». Mais soudain il sentit un parfum subtil qui l’enivra. Il le le lui fallait à tout prix : « Il fallait qu’il l’ait, non pour le simple plaisir de posséder, mais pour assurer la tranquillité de son cœur. Il se trouve presque mal à force d’excitation. » Il marche alors, suivant le parfum, sans trop savoir où il va lorsqu’il tombe sur une jeune fille dans une arrière-cour : « Cette source était la jeune fille. […] Il ne parvenait pas à comprendre qu’un parfum aussi exquis pût émaner d’un être humain. […] Pour Grenouille, il fut clair que, sans la possession de ce parfum, sa vie n’avait plus de sens. » C’est alors là qu’il commit l’irréparable en étranglant et tuant la jeune fille qu’il renifla des cheveux aux orteils afin de s’imprégner de son parfum : « [...] il lui semblait savoir enfin qui il était vraiment : en l’occurrence, rien de moins qu’un génie ; et que sa vie avait un sens et un but et une fin et une mission transcendante : celle, en l’occurrence, de révolutionner l’univers des odeurs, pas moins […] ». Quant au meurtre, il n’est pas certain qu’il se soit rendu compte de la gravité des faits : « Car enfin, il avait conservé d’elle et s’était approprié ce qu’elle avait de mieux : le principe de son parfum ».

    À partir de ce moment, Grenouille ne vivra plus que pour une quête olfactive. Lui qui n'a aucune odeur, il cherche même à fabriquer son propre parfum. Après moult péripéties, il continue ses mélanges et apprentissages, non sans refaire de victimes puisqu’il va encore tuer 24 jeunes filles.

    Afin de rendre compte de tous ces détails olfactifs, l’auteur s’est extrêmement documenté sur les parfums et senteurs. De même, ses recherches sur l’époque sont très précises, que ce soit dans le contexte de Paris ou la pensée des personnages, sans anachronisme. Le Parfum constitue un roman hybride : à la fois historique, d’apprentissage et un conte philosophique. Le lecteur s’attache au personnage tout en condamnant ses meurtres.


jeudi 11 juillet 2024

Laurent Lagarde, Les Cinq sur la photo : un roman familial chargé en émotions qui tient en halène.

 

    Clara et Laura sont sœurs jumelles. Leur mère est décédée d’un cancer foudroyant alors qu’elles avaient 10 ans. C’est leur oncle, le frère de leur mère, « Tonton Jérèm’ » qui les a élevées. Ils forment tous les trois un superbe trio familial : « En douze ans, nos rôles ont été parfaitement attribués. À Tonton la légèreté, à Laura l’audace, l’énergie, et à moi le… Le quoi d’ailleurs ? Le pas drôle ? Le sérieux ? L’utilitaire ? »

    Bien qu’aux caractères différents, les deux sœurs sont inséparables. L’une est réservée et aime la botanique et la lecture, l’autre est joueuse de handball : « Ma mère est un personnage important mais secondaire. Le projecteur est braqué sur Laura, l’intrépide, l’insaisissable Laura. L’héroïne, c’est Laura. Mes souvenirs, c’est Laura. Mes chagrins, mes fous-rires, c’est elle. » Elle poursuit : « Je suis une exploratrice introvertie, rêveuse mais pas téméraire. [...] Laura a besoin de courir et de suer, j’ai besoin de flâner et de respirer. » Ou encore : Je suis née pour craindre, elle est née pour foncer. » Le roman est narré par Clara, du début à la fin, avec l’insertion de dialogues afin de rester fidèle aux pensées des autres protagonistes et de rythmer le récit.

    Tandis que Clara est joueuse de handball à Paris, Clara part en stage dans le Finistère afin de réaliser un stage dans le jardin botanique de M. Toussaint dans le but de devenir paysagiste. Elle y rencontre Loïc, libraire atypique, avec qui elle lie une histoire d’amour.

    C’est la première séparation avec sa jumelle. Mais le malheur va vite les faire se retrouver : en effet, Laura est atteinte d’une grave leucémie. Sa seule chance : un don de moelle osseuse. Mais leur mère étant décédée et nées de père inconnu, il ne reste plus que Clara et Jérémy qui ne sont malheureusement pas compatibles.

    Clara entame alors une véritable enquête de détective à la recherche de leur père. Le seul indice qu’elle ait est une vieille photo datant de 22 ans, à Rome, lorsque leur mère était en colocation dans le cadre du programme Erasmus. Ils sont cinq sur la photo : deux filles dont leur mère, Flora, et trois garçons. Via moult recherches, Clara découvre l’identité des quatre autres et parvient à retrouver leurs traces via les réseaux sociaux et une banque de données d’ADN. Commence alors un long périple pour Clara, entre Paris, la Bretagne, Florence et la Sardaigne.

    Elle change de caractère et s’endurcit au fil du roman au vu des circonstances : « Oser engendre moins d’angoisse que de vivre constamment dans la peur d’agir. » Plus loin, elle écrit : « Ces dernières semaines m’ont changée. Je ne suis plus une timide étudiante dévoreuse de bouquins, mais une jeune femme déterminée et audacieuse ». Elle prend confiance en elle grâce à son histoire avec Loïc et par la force des choses. Elle mûrit et passe de la petite fille renfermée à la femme déterminée.

    Le roman s’accélère alors et le lecteur n’est jamais au bout de ses surprises de ce qu’elle va découvrir. L’auteur livre ici un roman qui tient en haleine et que le lecteur n’arrive plus à lâcher.

mercredi 10 juillet 2024

Sophie Tal Men, Les Cœurs silencieux : le roman des émotions enfouies

 

   

    Sophie Tal Men publie, en 2024, aux éditions Albin Michel, Les Cœurs silencieux. L’ensemble du roman est marqué par des rancœurs familiales, des regrets et la difficulté de communiquer ses sentiments. Aussi le prologue commence-t-il par une citation de David Foenkinos, extraite des Souvenirs : « J’ai si souvent été en retard sur les mots que j’aurais voulu dire ».

    Pedro est victime d’un AVC et perd quasiment la totalité de l’usage de la parole. Sarah, sa belle-fille, qui est infirmière dans l’hôpital où il est admis, va mener une quête sans merci pour retrouver la mère de ses deux premiers fils, Tiago et Tomás, Adeline, qu’il a abandonné vingt ans plus tôt, peu de temps après avoir refait sa vie avec Véronique, la mère de Sarah, de qui il est séparé mais ne souhaite pas revoir.

    Adeline est propriétaire d’une ferme et, Tiago, l’un de ses fils, travaille avec elle. Il est trisomique. Adeline accepte rapidement d’aller visiter Pedro à l’hôpital avec Tiago. Quant à Tomás, il ne voit pas cela d’un bon œil. Lui est écrivain et traducteur et vit entre la France et le Portugal. Pour lui, Pedro a beau être son père, il les a abandonnés et ne veut plus rien avoir à faire avec lui.

    Sarah part alors pour le Portugal dans l’espoir de le faire changer d’avis. Elle retourne à la maison familiale de Raposeira dont Pedro lui a donné les clés, et la remet en état. Elle est d’abord mal accueillie par Tomás qui est très perturbé de cette visite, d’autant que le jeune homme est en panne d’inspiration pour son nouveau roman. Mais comme lui dit son éditrice : « Parfois, il vaut mieux se perdre pour mieux se retrouver. »

    L’épigraphe de la deuxième partie du roman est très éloquent sur la situation : « Ils se sont dit des tonnes de choses dans ce silence, mais ça ne valait pas quand même pas des mots. » (Alex, Pierre Lemaitre). En effet, tous ces coeurs sont brisés et personne ne parvient à communiquer hormis Sarah. Pedro est pétrifié de regrets et Tomás est rongé par la colère. Sarah va se livrer à une quête sans faille afin de tenter de convaincre Tomás de rentrer en France visiter son père. De là, émanent de nombreux souvenirs d’enfance et Sarah va tenter d’apprivoiser le fils au caractère indomptable.

    L’épigraphe de l’épilogue résume très bien la difficulté à pardonner et à communiquer lorsque rancœurs et regrets sont au rendez-vous : « Nous nous aimions entre le mots et entre les lignes, dans les silences et les regards, dans les gestes les plus simples. » (Grégoire Delacourt, Les Quatre Saisons de l’été)

    Avec Les Cœurs silencieux, l’autrice nous livre la difficulté de revenir sur des regrets, celle des rancœurs familiales et celle de la difficluté à communiquer, tout en emmenant le lecteur dans un voyage au Portugal.

mardi 9 juillet 2024

Corps vivante de Julie Delporte : un joli roman illustré sur le rapport au corps et à la sexualité

  
 
    En 2022, Julie Delporte publie son ouvrage, roman illustré : Corps vivante, aux éditions pow pow. Ce livre est entièrement écrit et illustré par l'autrice. Elle y explique son rapport au corps et à la sexualité, et la découverte de son homosexualité à l'âge de 35 ans.   
Elle commence son ouvrage ainsi, au dos de la première de couverture : 
" Ce qui ne m'a pas tuée ne m'a pas rendue plus forte. Le temps n'a pas guéri toutes mes blessures. Mais je peux constater que, malgré tout, je suis encore vivante."
     
    Sa pratique de la sexualité n'était pas forcément consentie : "Je pratiquais ma sexualité dans la peur de n'être aimée de personne. Elle était le prix à payer pour un peu de tendresse." L'autrice cite Monique Wittig : "Qu'avez-vous fait de notre désir ? Du désir en lui-même ? Un désir de pénis ? Un désir d'enfant ? Une caricature."
     
    La narratrice explique qu'elle est devenue lesbienne à 35 ans, notamment après la lecture attentive de La Pensées straight. Elle écrit également : "Pour définir la manière dont j'ai persévéré dans la recherche d'un homme, je pese au titre du livre de Lauren Berlant : Cruel Optimism". Se pose aussi la question de la démocratisation de l'homosexualité : "Je suis devenue lesbienne l'année où Google a fait en sorte que son algorithme n'associe plus automatiquement notre nom à la pornographie".
  
    Elle remet en cause les codes, les lieux communs de ce que doit être, en apparence, la féminité, la beauté féminine : "Ce que j'avais raté de la féminité n'avait plus d'importance. J'étais soudain libérée de mes obligations. Elle poursuit : "Toutes ces années, j'avais désespérrément essayé d'être belle alors que je l'étais déjà."
  
  Elle raconte le consentement non-consenti lors de ses expériences avec les hommes : "Personne ne me forçait. Je me forçais.Ce n'est pas que je n'osais pas dire que je n'avais pas envie, c'est que je ne pouvais même pas me l'avouer. Il n'y avait pas de place pour l'ambivalence. Elle cite alors Peau de Dorothy Allison et en dit qu'elle "envie celles qui savaient qu'elles aimaient les femmes avant même de comprendre la sexualité."
     
    Aujourd'hui, elle se trouve en phase de reconstruction : Je veux qu'on me laisse tranquille, qu'on arrête de vouloir réparer mon corps. Qu'on l'aime, qu'on en prenne soin, comme il est, parasité. Affecté." Ainsi refuse-t-elle toute pitié et veut-elle être accepté telle qu'elle est, avec ses blessures et son passé, les questions de son orientation sexuelle. La question qu'elle se pose alors est la suivante : "Comment faire pour que ce corps redevienne celui de l'enfant qui découvre le monde ?" Elle souhaiterait tant ne pas porter ce fardeau derrière elle. Mais elle avoue de pas encore être guérie de cette question du consentement non-consenti : "Quand cela m'arrive, j'oublie tous les autres jours. Ma non-libido n'est pas un état neutre, elle entraine directement la peur de devoir repousser, de ne pas réussir à repousser. Puis finalement d'être repoussée."
 
    Avec Corps vivante, Julie Delporte livre un très bel ouvrage illustré par ses soins, avec des dessins de métaphore de sexe féminin, des dessins de tristesse, des dessins de dépersonnalisation et beaucoup de nature. Elle donne à voir le rapport au corps et les tabous sur la sexualité, l'impportance du consentement, et l'acceptation de l'homosexualité.