"Qu'elle suscite la passion, la tendresse, la haine, la rancoeur,
l'admiration ou simplement l'amour, la mère de chair demeure celle dont
le corps fut neuf mois durant notre oeuf et notre nid. Une intimité que
l'absence de souvenirs concrets rend inoubliable." Michèle Gazier
Le goût des mères, publié en 2012 aux éditions du Mercure de France, constitue un ouvrage collaboratif avec des textes choisis et présentés par Michèle Gazier.
L'ouvrage se divise en 4 parties :
- Mères courages, femmes fortes, mères sacrées et sacrées mères
- Mère malade, mère morte
- Mères détestées et détestables
- La mère aimée, admirée
De la libération par l'écriture à la souffrance, ce petit receuil regroupe des extraits d'oeuvres des plus variés. D' Annie Ernaux à Albert Cohen, en passant par Roland Barthes, Elias Canetti, Albert Camus ou en core Boualem Sansal, l'écriture sur la mère est représentée dans tous ses états.
Dans Une femme, publié en 1987, livre consacré à sa mère, tandis que La place est consacrée à son père, Annie Ernaux évoque l'importance du souvenir et sa difficulté à admettre la disparition maternelle : "Dans la semaine qui a suivi, il m'arrivait de pleurer n'importe où. En me réveillant, je savais que ma mère était morte. Je sortais de rêves lourds dont je ne me rappelais rien, sauf qu'elle y était, et morte." "Je ne retrouve ainsi que la femme de mon imaginaire, la même que, depuis quelques jours, dans mes rêves, je vois à nouveau vivante, sans âge précis, dans une atmosphère de tension semblable à celle des films d'angoisse." Admettre la mort et la poser sur papier, comme pour l'ancrer, pour la réaliser, constitue une véritable étape de souffrance : "Il y aura trois semaines demain que l'inhumation a eu lieu. Avant-hier seulement, j'ai surmonté la terreur d'écrire dans le haut d'une feuille blanche, comme une début de livre, non de lettre à quelqu'un, "ma mère est morte"".
Cette souffrance de l'écriture de la mort est omniprésente dans Le livre de ma mère d'Albert Cohen, publié en 1954 : "Souris avec ton deuil plus haletant qu'une peur. Souris pour croire que rien n'importe, souris pour te forcer à feindre de vivre, souris sous l'épée suspendue de la mort de ta mère, souris toute ta vie à en crever et jusqu'à ce que tu en crèves de ce permanent sourire." Ici, la douleur est exacerbée par l'écriture, celle-ci ne l'apaise aucunement. Ceci fait écho chez Boualem Sansal dans Rue Darwin publié en 2011 : " L'homme face à la mort qui emporte la vie qui lui a donné la vie est confronté à un trouble qui dépasse l'entendement même de Dieu."
Chez Roland Barthes, l'oubli, la négation de la mort est une manière de survivre : "Cette absence bien supportée, elle n'est rien d'autre que l'oubli. Je suis, par intermittence, infidèle. C'est la condition de ma survie; car si je n'oubliais pas, je mourrais." (La Chambre claire, 1980).
Enfin, comment ne pas citer le fameux incipit de L'Etranger d'Albert Camus : "Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai recçu un télégramme de l'asile : "Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués". Cela ne veut rien dire". Devant l'absurdité de la mort de sa mère, le protagoniste du roman, Meursault, va provoquer l'absurdité de sa propre vie.
Nombreux sont les écrivains à avoir écrit sur leur mère : avec admiration, joie, tristesse inconsolable, mais aussi rancoeur et haine. La mère reste au centre de l'évolution et de la transformation de l'être humain.
"L'amour d'un père est le plus vaste, celui d'une mère le plus violent de tous; mais l'un comme l'autre sont d'une telle force que l'affection fililale parvient très rarement à les égaler". Pétrarque, Contre la bonne et mauvaise fortune.
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