samedi 21 septembre 2019

Le Cousins Pons d'Honoré de Balzac : entre fiction et peinture socio-culturelle

    La Comédie Humaine de Balzac est une gigantesque entreprise littéraire regroupant la quasi totalité de l'oeuvre de son auteur, à savoir, quatre-vingt-dix ouvrages, de 1829 à 1850. Elle se dessine en plusieurs sections et se veut en cela exhaustive quant à la peinture des mœurs et des caractères humains au sein de cadres spacio-temporels  et socio-culturels différents. Ainsi est-elle divisée en trois grandes sections dont L'Etude des mœurs est la plus abondante. Celle-ci regroupe les Scènes de la vie privée, les Scènes de la vie de Province ainsi que les Scènes de la vie parisienne. Aussi Balzac écrit-il dans une lettre à Mme Hanska du 26 octobre 1834 : "Les Etudes de mœurs représentent tous les effets sociaux sans que ni une situation de la vie,  ni une  physionomie, ni un caractère d’homme ou de femme, ni une manière de vivre, une profession, ni une  zone  sociale, ni un pays français, ni quoi que ce soit de l’enfance, de la vieillesse, de l’âge mûr, de la  politique, de la justice, de la guerre, ait été oublié."

    Le Cousin Pons, publié en premier lieu en feuilleton dans Le Constitutionnel, devait être, à l'origine, une nouvelle d'une quarantaine de pages. Au fur et à mesure de son écriture, Balzac se plaît à la transformer en roman en y ajoutant toute l'intrigue et les péripéties autour du 'Musée Pons". Le titre de l'oeuvre n'a pas été immédiatement celui sous lequel elle est aujourd'hui connue. Après, entre autres, Le Bonhomme Pons et Les Deux musiciens, le roman est finalement publié sous le nom du Cousin Pons en 1847 et, constitue, avec La Cousine Bette, l'un des derniers romans des Scènes de la vie parisienne.

    L'oeuvre balzacienne est marquée par le réalisme. Le genre romanesque permet à l'écrivain d'intégrer une fiction à un contexte social, politique et historique (Les Chouans relèvent d'ailleurs du roman historique). La fiction est au service de la peinture d'une société : elle permet de mettre lumière tant les bienfaits que les méfaits de la répercussion d'un contexte sociétal sur les vices et les vertus de l'être humain. 

     Pour ce faire, Balzac crée des 'types", c'est-à-dire des caractères humains sur une toile de fond historique omniprésente. La fin de chaque récit peint une issue heureuse ou malheureuse des héros au prisme d'un cadre socio-culturel et spacio-temporel particuliers. Ces personnages représentent un type de personne de la société tels que la concierge, la portière, le juriste, le collectionneur, l'artiste... L'auteur crée ainsi des personnages redondants au fil de La Comédie Humaine qui évoluent différemment selon le contexte dans lequel ils sont immergés. Mme de Marville, présente dans Le Cousin Pons, apparaissait déjà dans des œuvres antérieures. Elle se caractérise par l'importance accordée à son ascension sociale. De même, le personnage de Schmucke était déjà présent dans Une Fille d'Eve en tant que professeur de musique où il connaît une fin heureuse, contrairement à sa destinée dans Le Cousin Pons. Le personnage balzacien est doté d'une physionomie correspondant à son caractère qui suscite l'intérêt du lecteur par sympathie ou antipathie.

    Les fins des œuvres de Balzac se concluent sur une chute, heureuse ou malheureuse, qui invite le lecteur à une active réflexion. Le Colonel Chabert et Le Père Goriot, tout comme Le Cousin Pons, mettent en exergue le triomphe des vices sociaux et spéculaires sur les valeurs morales. Le réalisme balzacien, de du début à la fin, inclut le lecteur dans une sorte de dimension didactique des comportements humains au sein d'un cadre spacio-temporels et socio-culturels donnés. 

    Dans Le Cousin Pons, Balzac met en scène des personnages représentants d'une identité, d'une ethnie, ou d'une classe sociale sur fond 'd'un appât du gain permanent et de manipulation tant morale que juridique. Aussi cette oeuvre pourrait-elle bine être une "comédie terrible". Pons et Schmucke, surnommés "les deux casses-noisettes", sont deux célibataires résidents dans l'appartement de Sylvain Pons. Ils sont liés par un amitié des plus sincères. Tous deux musiciens, et Pons, également collectionneur d'art, vivement en marge de la société de spéculation de la vie parisienne de la première moitié du XIXe siècle. Ils représentent le "type" de l'artiste aux vertus esthètes et morales. Les personnages qui les entourent s'avèrent malveillantes : elles tentent par toutes les formes de manipulation d'acquérir le "Musée Pons" et de déshériter l'ami Schmucke par n'importe quelle controverse. Les Marville, dont Sylvain Pons est le cousin, tentent, par tous les moyens, notamment avec l'aide de Fraisier et son ami le docteur Poulain, de récupérer la collection d'art après sa mort au détriment du brave allemand dont Pons avait fait son légataire universel. 

    Ces éléments ne sont pas sans rapport avec la situation personnelle de Balzac au moment où il rédige son roman : le poids familial règne également sur lui puisqu'il est surendetté auprès de sa mère. De même, l'isotopie du bric-à-brac peut être rapprochée des lettres envoyées à Mme Hanska lors de l'écriture du Cousin Pons et de La Cousine Bette lorsqu'il écrit à sa future épouse qu'il songe à la recherche de meubles pour leur future installation.

    La Cibot et La Sauvage représentent la classe sociale basse des portières, prêtes à tout pour amasser de l'argent et s'élever socialement. De même Elie Magus et Remonencq se révèlent être des prédateurs de la collection Pons au nom du bric-à-brac qui leur est cher et, bien sûr, de sa valeur. Seul personnage moralement bon et venant en aide à Schmucke à la mort de Pons : l'ami du théâtre, Topinard.

    Dans Le Cousin Pons, les personnages sont grandement caractérisés par leur appartenance ethnique. Schmucke représente l'Allemand naïf, artiste au bon cœur inaccoutumé aux mœurs économiques françaises. C'est d'ailleurs ce qui le perdra puisqu'il se fait dépouiller par les Marville par méconnaissance de la juridiction française ainsi que par son ancrage dans le chagrin de la perte de son ami. Bruner, autre figure allemande du roman, avec qui Pons échoue à marier sa cousine Cécile, représente l'Allemand romantique et métisse puisqu'il est d'origine juive. Elie Magus représente la figure du commerçant juif telle que s'en fait Balzac, mais aussi du collectionneur, bien que ce soit d'une manière différente de celle de Pons. C'est ainsi que lorsque Magus s'intéresse au "Musée Pons", Rémonencq rétorque : "Tous les Juifs ne vivent pas en Israël". Il ne faudrait pas se méprendre en voyant là un Balzac antisémite : il s'agit davantage d'un stéréotype du commerçant juif du XIXe siècle cherchant à faire de bonnes affaires. Quant à l'Auvergnat Rémonencq, il ne manque pas d'idée pour s'enquérir de la collection Pons, jusqu'à épousé La Cibot. Ce personnage sera néanmoins châtié puisqu'il s'empoisonne lui-même en voulant assassiner sa femme.

    Plus encore que la création de "types" ethniques, Balzac associe à chacun de ces personnages un idiolecte socio-culturel. Les discours directs en sont très représentatifs : La Cibot use d'un vocabulaire simpliste, naïf, intellectuellement bas avec un accent la rendant idiote et grossière que Balzac se plaît à relater phonétiquement. Il en est de même pour l'accent allemand de Schmucke dont les discours directs sont rapportés de manière phonétique, tout comme pour Rémonencq avec son accent auvergnat.

    La supercherie et la manipulation constituent les fils conducteur du Cousin Pons. Substitutions de tableaux et de testament en sont les deux exemples les plus pertinents. Les valeurs morales sont alors bafouées par l'appât du gain et la volonté d'ascension sociale des personnages qui gravitent autour des "deux casses-noisettes", à l'exception de Topinard, l'ami du théâtre, dont il importe de relever les qualités morales. La fin de l'oeuvre s'apparente à la "comédie terrible" dans laquelle Pons, puis Schmucke, trouvent la mort. Par ailleurs, la collection Pons ne revient pas à Elie Magus, lui aussi collectionneur d'art, ce qui aurait pu paraître comme un moindre mal en dépit du décès du fidèle ami allemand dépassé par les événements. Ainsi les liens familiaux, le complot et l'aspect pécuniaire l'emportent-ils sur les valeurs morales. 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire