
jeudi 26 décembre 2024
Novembre, Philippe Le Guillou
lundi 11 novembre 2024
Virginie Hamonnais : un témoignage qui ne laisse pas indifférent.
En 2019, Virginie Hamonnais publie Noyée dans l'alcool aux éditions Max Milo. Elle nous livre un témoignage et non un roman. Elle raconte au lecteur sa descente aux enfers lorsqu'elle devient alcoolique à l'âge de 35 ans, suite à la séparation avec Julio, le père de leur enfant Timéo, qui ne s'occupe pas du tout ee ce dernier. Alors pour se détendre, Virginie prend un verre de en temps après le travail le soir. Puis deux, puis trois... Son corps s'y habitue et il lui en faut toujours davantage. Les bouteilles de vodka y passent tous les jours, jusqu'à e qu'elle en vient même à perdre la garde de son fils, placé à l'ASE, pendant plusieurs années.
Entre cure sur cure, urgences à l'hôpital, centre psychiatrique, la protagoniste ne trouve rien d'adapté à sa pathologie. Elle attend se fameux déclic qui la fera arrêter de boire afin de reprendre une vie saine et normale, et de récupérer la garde de son fils qu'elle ne voit pas grandir et qui lui en veut terriblement. Elle a la volonté e s'en sortir, mais elle explique que l'alcoolisme est une véritable maladie incontrôlable qui la ronge de culpabilité. Heureusement, sa famille est présente : son frère et ses parents, puis elle rencontre son petit ami Clément, qui l'aide, comme il le peut à surmonter son addiction.
Le livre se termine par une postface de l'étude de l'alcoolisme, notamment chez les femmes, par le docteur Fatma Bouvet afin de mieux faire comprendre le lecteur sur cette maladie.
Un témoignage des plus juste et des plus poignants.
David Zukerman, San Perdido : un premier roman réussi avec brio.
Véritable coup de cœur pour ce premier roman de David Zukerman, publié au éditions Calman Lévy, qui plonge son lecteur dans les aventures émouvantes de Yerbo Kwinton, à San Perdido, petite ville côtière imaginaire du Panama de la fin des années 40.
Plus qu'un roman, San Perdido, c'est aussi une fresque historique et sociale du Panama, de la condition des habitants des bidonvilles accolés aux quartiers riches. Un roman sur fond de toile historique, haut en couleurs, où le lecteur est propulsé en Amérique centrale et dans lequel il ne peut que s'attacher au destin de Yerbo, dont il suit les aventures et le parcours, de l'enfance à l'âge adulte : "Et qu'est-ce qu'un héros, sinon un homme qui réalise un jour le rêve de tout un peuple ?"
Outre l'épopée dépaysante que constitue ce roman, le style de l'auteur est d'une fluidité absolue et un pur bonheur pour le lecteur.
dimanche 25 août 2024
Mélissa Da Costa, Tout le bleu du ciel
Tout le bleu du ciel, premier roman de Mélissa Da Costa : un livre qui donne tout simplement envie de vivre ! Cet ouvrage est un véritable bijou. Emile, 26 ans, condamné prématurément en raison d'un Alzheimer précoce, décide de fuir l'essai clinique auquel il doit participer, afin de vivre pleinement les derniers moments de sa vie. Il poste une petite annonce sur internet pour trouver un compagnon de route qui accepterait de partir avec lui à l'aventure, en camping-car. Joanne, jeune bretonne énigmatique de 29 ans, lui répond immédiatement de façon positive. Tous deux, ils vont sillonner les Pyrénées, le Sud de la France. Il ne se connaissent pas, ils sont très différents, mais vont beaucoup s'apporter émotionnellement et intellectuellement.
dimanche 18 août 2024
Agathe Ruga, Sous le soleil de tes cheveux blonds
Sous le soleil de tes cheveux blonds, premier roman d'Agathe Ruga, constitue un long monologue intérieur dans lequel la narratrice, Brune, s'adresse à Brigitte, son amie de toujours, de qui elle n'a plus aucune nouvelle depuis plusieurs années, à la fin d'ultimes vacances passées ensemble. Brune n'a jamais compris les raisons de cette rupture dont elle souffre terriblement : "Tu m'as quittée, tu nous as quittées. Pas un jour ne passe sans un souvenir de nous et de nos fêtes intérieures. Tu es ma plus belle robe de soirée, mon champagne le plus euphorisant, mon plus long SMS. Mon plus bel amour inachevé." Enceinte, c'est l'occasion pour elle, voire le besoin, de se remémorer leurs vies, leurs amours, leurs études, les bons et les mauvais moments d'une amitié fusionnelle qui s'est éteinte sans explication.
À travers ce récit touchant où Brune s'adresse directement à son amie, le lecteur revit pleinement la jeunesse et l'évolution des deux amies, avec beaucoup de nostalgie, d'émotions, dans lesquelles il ne peut que se reconnaître dans l'une des péripéties ou des émotions, dans un style fluide, touchant et emprunt d'humour.
dimanche 11 août 2024
Rosella Postorino, La Goûteuse d'Hitler
Pour son quatrième roman, Rosellla Postorino s'est inspirée de l'histoire vraie de Margot Wôlk. Son ouvrage ne prétend néanmoins pas être un récit historique, mais plutôt une fresque de la vie d'une jeune femme de 26 ans, dont le mari est parti à la guerre en Russie. Un monologue intérieur de la protagoniste se mêle au rituel du réfectoire, notamment au cours de cette fameuse heure interminable de l’éventuelle bouchée de la mort. Rosa revient notamment sur son enfance à Berlin, la rencontre avec son mari. De plus, des liens amicaux se tissent avec les autres goûteuses, plus ou moins forts et parfois emprunts de jalousie et de tension. La romance qui rythme le quotidien de goûteuse fait de ce livre, au style très fluide et agréable, une œuvre touchante et originale sur cette thématique des goûteuses d'Hitler, tout en finesse et pleine de sensibilité.
mercredi 31 juillet 2024
Le Parfum de Patrick Süskind : un roman olfactif
La vie de Jean-Baptiste Grenouille commençait mal : il naît derrière l’étal de la poissonnerie de sa mère qui l’abandonne. Il est confié à une première nourrice, qui ne veut plus de lui, car le trouve étrange. Notamment, il n’a pas d’odeur, et elle a le sentiment qu’il la regarde non pas avec les yeux mais avec le nez. Mme Gaillard, elle, accepte de le prendre. Elle est sans foi ni loi et ne fait pas dans la dentelle. A l’arrêt de la pension qui lui avait été attribuée pour l’enfant, elle le laisse chez un tanneur où il travaille dur, dans des odeurs et des conditions abominables. En grandissant, à l’âge de six ans, Grenouille ne ressent aucun sentiment. Il ne ressent que les odeurs olfactives de manière exacerbée : « À six ans, il avait totalement exploré olfactivement le monde qui l’entourait. » À treize ans, « l’instinct de chasse le prit ; Il avait à sa disposition la plus grande réserve d’odeurs du monde : la ville de Paris. »
La première fois que Grenouille se sentit véritablement vivant fut le 1er septembre 1753 lors du feu d’artifice pour l’anniversaire de l’accession au trône du roi Louis XV. Grenouille s’apprêtait à rentrer car « il s’avéra bien vite que, sous le rapport des odeurs, ce feu d’artifice n’avait rien à lui apporter ». Mais soudain il sentit un parfum subtil qui l’enivra. Il le le lui fallait à tout prix : « Il fallait qu’il l’ait, non pour le simple plaisir de posséder, mais pour assurer la tranquillité de son cœur. Il se trouve presque mal à force d’excitation. » Il marche alors, suivant le parfum, sans trop savoir où il va lorsqu’il tombe sur une jeune fille dans une arrière-cour : « Cette source était la jeune fille. […] Il ne parvenait pas à comprendre qu’un parfum aussi exquis pût émaner d’un être humain. […] Pour Grenouille, il fut clair que, sans la possession de ce parfum, sa vie n’avait plus de sens. » C’est alors là qu’il commit l’irréparable en étranglant et tuant la jeune fille qu’il renifla des cheveux aux orteils afin de s’imprégner de son parfum : « [...] il lui semblait savoir enfin qui il était vraiment : en l’occurrence, rien de moins qu’un génie ; et que sa vie avait un sens et un but et une fin et une mission transcendante : celle, en l’occurrence, de révolutionner l’univers des odeurs, pas moins […] ». Quant au meurtre, il n’est pas certain qu’il se soit rendu compte de la gravité des faits : « Car enfin, il avait conservé d’elle et s’était approprié ce qu’elle avait de mieux : le principe de son parfum ».
À partir de ce moment, Grenouille ne vivra plus que pour une quête olfactive. Lui qui n'a aucune odeur, il cherche même à fabriquer son propre parfum. Après moult péripéties, il continue ses mélanges et apprentissages, non sans refaire de victimes puisqu’il va encore tuer 24 jeunes filles.
Afin de rendre compte de tous ces détails olfactifs, l’auteur s’est extrêmement documenté sur les parfums et senteurs. De même, ses recherches sur l’époque sont très précises, que ce soit dans le contexte de Paris ou la pensée des personnages, sans anachronisme. Le Parfum constitue un roman hybride : à la fois historique, d’apprentissage et un conte philosophique. Le lecteur s’attache au personnage tout en condamnant ses meurtres.
jeudi 11 juillet 2024
Laurent Lagarde, Les Cinq sur la photo : un roman familial chargé en émotions qui tient en halène.
Clara et Laura sont sœurs jumelles. Leur mère est décédée d’un cancer foudroyant alors qu’elles avaient 10 ans. C’est leur oncle, le frère de leur mère, « Tonton Jérèm’ » qui les a élevées. Ils forment tous les trois un superbe trio familial : « En douze ans, nos rôles ont été parfaitement attribués. À Tonton la légèreté, à Laura l’audace, l’énergie, et à moi le… Le quoi d’ailleurs ? Le pas drôle ? Le sérieux ? L’utilitaire ? »
Bien qu’aux caractères différents, les deux sœurs sont inséparables. L’une est réservée et aime la botanique et la lecture, l’autre est joueuse de handball : « Ma mère est un personnage important mais secondaire. Le projecteur est braqué sur Laura, l’intrépide, l’insaisissable Laura. L’héroïne, c’est Laura. Mes souvenirs, c’est Laura. Mes chagrins, mes fous-rires, c’est elle. » Elle poursuit : « Je suis une exploratrice introvertie, rêveuse mais pas téméraire. [...] Laura a besoin de courir et de suer, j’ai besoin de flâner et de respirer. » Ou encore : Je suis née pour craindre, elle est née pour foncer. » Le roman est narré par Clara, du début à la fin, avec l’insertion de dialogues afin de rester fidèle aux pensées des autres protagonistes et de rythmer le récit.
Tandis que Clara est joueuse de handball à Paris, Clara part en stage dans le Finistère afin de réaliser un stage dans le jardin botanique de M. Toussaint dans le but de devenir paysagiste. Elle y rencontre Loïc, libraire atypique, avec qui elle lie une histoire d’amour.
C’est la première séparation avec sa jumelle. Mais le malheur va vite les faire se retrouver : en effet, Laura est atteinte d’une grave leucémie. Sa seule chance : un don de moelle osseuse. Mais leur mère étant décédée et nées de père inconnu, il ne reste plus que Clara et Jérémy qui ne sont malheureusement pas compatibles.
Clara entame alors une véritable enquête de détective à la recherche de leur père. Le seul indice qu’elle ait est une vieille photo datant de 22 ans, à Rome, lorsque leur mère était en colocation dans le cadre du programme Erasmus. Ils sont cinq sur la photo : deux filles dont leur mère, Flora, et trois garçons. Via moult recherches, Clara découvre l’identité des quatre autres et parvient à retrouver leurs traces via les réseaux sociaux et une banque de données d’ADN. Commence alors un long périple pour Clara, entre Paris, la Bretagne, Florence et la Sardaigne.
Elle change de caractère et s’endurcit au fil du roman au vu des circonstances : « Oser engendre moins d’angoisse que de vivre constamment dans la peur d’agir. » Plus loin, elle écrit : « Ces dernières semaines m’ont changée. Je ne suis plus une timide étudiante dévoreuse de bouquins, mais une jeune femme déterminée et audacieuse ». Elle prend confiance en elle grâce à son histoire avec Loïc et par la force des choses. Elle mûrit et passe de la petite fille renfermée à la femme déterminée.
Le roman s’accélère alors et le lecteur n’est jamais au bout de ses surprises de ce qu’elle va découvrir. L’auteur livre ici un roman qui tient en haleine et que le lecteur n’arrive plus à lâcher.
mercredi 10 juillet 2024
Sophie Tal Men, Les Cœurs silencieux : le roman des émotions enfouies
Sophie Tal Men publie, en 2024, aux éditions Albin Michel, Les Cœurs silencieux. L’ensemble du roman est marqué par des rancœurs familiales, des regrets et la difficulté de communiquer ses sentiments. Aussi le prologue commence-t-il par une citation de David Foenkinos, extraite des Souvenirs : « J’ai si souvent été en retard sur les mots que j’aurais voulu dire ».
Pedro est victime d’un AVC et perd quasiment la totalité de l’usage de la parole. Sarah, sa belle-fille, qui est infirmière dans l’hôpital où il est admis, va mener une quête sans merci pour retrouver la mère de ses deux premiers fils, Tiago et Tomás, Adeline, qu’il a abandonné vingt ans plus tôt, peu de temps après avoir refait sa vie avec Véronique, la mère de Sarah, de qui il est séparé mais ne souhaite pas revoir.
Adeline est propriétaire d’une ferme et, Tiago, l’un de ses fils, travaille avec elle. Il est trisomique. Adeline accepte rapidement d’aller visiter Pedro à l’hôpital avec Tiago. Quant à Tomás, il ne voit pas cela d’un bon œil. Lui est écrivain et traducteur et vit entre la France et le Portugal. Pour lui, Pedro a beau être son père, il les a abandonnés et ne veut plus rien avoir à faire avec lui.
Sarah part alors pour le Portugal dans l’espoir de le faire changer d’avis. Elle retourne à la maison familiale de Raposeira dont Pedro lui a donné les clés, et la remet en état. Elle est d’abord mal accueillie par Tomás qui est très perturbé de cette visite, d’autant que le jeune homme est en panne d’inspiration pour son nouveau roman. Mais comme lui dit son éditrice : « Parfois, il vaut mieux se perdre pour mieux se retrouver. »
L’épigraphe de la deuxième partie du roman est très éloquent sur la situation : « Ils se sont dit des tonnes de choses dans ce silence, mais ça ne valait pas quand même pas des mots. » (Alex, Pierre Lemaitre). En effet, tous ces coeurs sont brisés et personne ne parvient à communiquer hormis Sarah. Pedro est pétrifié de regrets et Tomás est rongé par la colère. Sarah va se livrer à une quête sans faille afin de tenter de convaincre Tomás de rentrer en France visiter son père. De là, émanent de nombreux souvenirs d’enfance et Sarah va tenter d’apprivoiser le fils au caractère indomptable.
L’épigraphe de l’épilogue résume très bien la difficulté à pardonner et à communiquer lorsque rancœurs et regrets sont au rendez-vous : « Nous nous aimions entre le mots et entre les lignes, dans les silences et les regards, dans les gestes les plus simples. » (Grégoire Delacourt, Les Quatre Saisons de l’été)
Avec Les Cœurs silencieux, l’autrice nous livre la difficulté de revenir sur des regrets, celle des rancœurs familiales et celle de la difficluté à communiquer, tout en emmenant le lecteur dans un voyage au Portugal.
mardi 9 juillet 2024
Corps vivante de Julie Delporte : un joli roman illustré sur le rapport au corps et à la sexualité
mardi 18 juin 2024
Albert Cohen, Le Livre de ma mère. Valérie Timsit, Elle était belle ma mère...
Publié en 1954, Le Livre de ma mère d'Albert Cohen a inspiré Valérie Timsit qui publie, en 2017, Elle était belle ma mère... De nombreuses similitudes se retrouvent dans les deux oeuvres bien que le sytle et la structure soient différents. Mais la thématique est omniprésente : le souvenir et les regrets de la mère décédée.
Elle était belle ma mère... se décline en 25 chapitres qui oscillent entre souvenirs, heureux ou malheureux, et poids de l'absence, toujours comme chez Cohen. Le narrateur évoque des souvenirs joyeux et écrit directement après que justement, il ne les vivra plus jamais. L'esprit divague joyeusement dans la nostalgie qui revient mélancoliquement à la réalité de l'absence. Valérie Timsit se plait à employer un style poétque avec musicalité, de nombreuses métaphores filées, ainsi que de nombreuses incises du substantif "ma mère", qui a pour effet l'accentuation du personnage dont le narrateur fait l'héroïne du roman. Albert Cohen avait déjà usé de ce style dans Le Livre de ma mère en 1954.
Chez Timsit, le narrateur ne parvient pas à faire son deuil : "Je ne veux plus me lever en portant sur moi le deuil de ma mère, en apprenant toutes les fois la nouvelle de sa disparition. [...] Elle aurait pu vivre de longues années encore, rester près de moi et me confier comme une merveilleuse prévenance, le livre de sa vie. [...] Je reste là, affligé par cette nouvelle frontière qui nous sépare, ce monde inconnu qui nous éloigne. Elle n'est plus un rêve, ma mère, sa mort est un cauchemar !".
Le Livre de ma mère d'Albert Cohen constitue sa troisième oeuvre après Solal en 1930 et Mangeclous en 1938. Selon lui, "pleurer sa mère, c'est pleurer son enfance." Le livre insiste beaucoup sur le regret de ne pas pas avoir été assez présent ou mal aimant envers la défunte : "Combien nous pouvons faire souffrir ceux qui nous aiment et quel affreux pouvoir de mal nous avons sur eux. Et comme nous faisons usage de ce pouvoir." Le narrateur se punit même de sa propre souffrance du deuil par culpabilité : "Vengé de moi-même, je me dis que c'est bien fait et que c'est juste que je souffre, moi qui ai fait, cette nuit-là, souffrir une maladroite sainte, qui ne savait pas qu'elle était une sainte." L'oeuvre est rongée par la culpabilité du narrateur par ses manquements auprès de sa mère, et ce deuil qu'il ne parvient pas à effectuer : "Le terrible des morts, c'est leurs gestes de vie dans notre mémoire. Car alors, ils vivent atrocement et nous n'y comprenons plus rien." L'idée de ne plus la revoir, de culpabiliser de l'avoir fait attendre de son vivant, tout comme chez Valérie Timsit est omniprésente : "Je suis seul maintenant et c'est à mon tour d'attendre sur le banc automnal de la vie, sous le vent froid qui gémit dans le crépuscule et soulève les feuilles mortes en néfastes tourbillons odeur d'anciennes chambres, à mon tour d'attendre ma mère qui ne vient pas, qui ne viendra plus au rendez-vous, qui ne viendra plus." L'idée de répétition de ne pas revenir à trois reprises consécutives montre bien les regrets et l'incapacité du narrateur à faire son deuil. "Fini, fini, plus de Maman, jamais. Nous sommes bien seuls tous les deux, toi dans ta terre, moi dans ma chambre." : la répétition est omniprésente, comme pour se convaincre de la réalité, mais d'une réalité de sentiment de solitude insoutenable de la disparition.
Albert Cohen livre ici une oeuvre des plus sincères et touchantes à laquelle le lecteur ne peut qu'adhérer, quel que soit son vécu.
Aliona Gloukhova, Nos corps lumineux : un cheminement poétique de l’écriture
« Une métaphore est une rupture d’unité, un dérangement, elle introduit un élément hétérogène qui renvoie à un autre contexte que le conexte présent. » Blumenberg
En mars 2023, Aliona Gloukova publie son troisième livre : Nos corps lumineux, après Dans l’eau je suis chez moi en 2019 et De l’autre côté de la peau en 2020, le tout aux éditions verticales. L’autrice est biélorusse, mais le lecteur pourra noter que, dans son œuvre, elle emploie le terme biélarusse. Ceci a un sens politique : « biélorusse » fait référence à l’URSS alors que « biélarusse » marque l’indépendance à cette dernière.
La narratrice vient de divorcer, nous sommes en pleine période de Covid, et elle va faire de cette rupture un nouveau départ. Nos corps lumineux est marqué par la recherche des mots et de la justesse de leur place. Plusieurs motifs sont récurrents dans son œuvre.
Tout d’abord, le motif de L’Atlas de la face cachée de la Lune (1960), seul ouvrage qu’elle emporte avec elle lors de sa retraite intérieure, pris dans la bibliothèque de son grand-père : « La face cachée de la Lune a été photographiée pour la première fois par la sonde sovitéqique Luna 3 le 7 octobre 1959. Une des premières images est apparue le 27 octobre 1959 dans le journal la Pravda. » Elle donne, de cet ouvrage scientifique, de nombreuses précisions presque poétiques au vu des clichés de l’époque : écrire au plus proche de ce que l’on ne connaît pas, idée poétique dans le domaine scientifique : « Parfois j’ouvre une page de l’atlas au hasard pour trouver une réponse à la question du jour. » Plus loin : « Je me demande si c’est possible d’être précis quand on ne sait pas exactement ce que l’on décrit, quand on est les premiers à déchiffrer l’information autrefois indisponible, quand ne sait pas ce qu’on regarde. »
À la fin de son récit, la narratrice revient sur cet ouvrage d’une autre manière, toujours dans le sens poétique scientifique : « Un phénomène particulier se produit dans un cœur désaimé : les cellules du muscle cardiaque se figent, la contractilité du ventricule gauche ne fonctionne plus. La base du cœurs continue pourtant de pomper, féroce, pendant que sa pointe reste immobile, gonfle. Un cœur désaimé est une forme interdite, une naine brune, une étoile qui n’a pas eu lieu.Si on ne donne pas assez de place aux cœurs forts, ils risquent de partir en l’air, de nous faire exploser. »
Le motif de la forêt est également récurrent comme métaphore de la forêt intérieure. L’idée est de retrouver une forme de repères. La perte de repères extérieurs engendre une forêt intérieure afin de se retrouver, l’idée d’espace intérieur magique, d’imaginaire parallèlement au concret : « Je cherche la forêt dans cet espace où j’ai éteint la lumière, où je ne dors pas encore, mon corps perd sa tension de la journée, je découvre une logiue différente, celle qui me permettra d’attraper une vague ou d’avancer dans un rêve. Une fois dans ma forêt, je lèverai la tête et je verrai le ciel noir constellé de points lumineux. »Le corps est toujours mis en relation avec la pensée, et la pensée avec les sensations : « Dans ma forêt, les pins font le triple de ma taille. L’air est épais. Ma forêt aurait pu être noire tant elle est dense. Mais de la lumière provient des étoiles, alors ma forêt est bleue. »
Il y a dans cette œuvre une quête de permanente connexion à la nature et aux animaux : « Des actes sans sans logique me donnent de l’énergie, je me réveille à une heure de la nuit et me lève comme si c’était le matin, je crie comme une corbeau, une toux intérieure rentrée dans la gorge, pousse de l’air sans lui donner trop d’espace. Les corbeaux me répondent par sympathie ou par hasard. Parlent-ils à quelqu’un d’autre ? Je ne veux plus de cette séparation du monde, je veux être dedans, incluse. » Par ailleurs, la narratrice raconte une tradition biélarusse, celle du 6 juillet, qui constituerait le solstice d’été. Les gens partent alors dans la nuit chercher une fleur de fougère afin de pouvoir parler la langue des fleurs et des animaux.
« Au mois de mars, d’avril, j’étudie mon corps en déséquilibre, pousse ses limites. Je veux sentir jusqu’où je pourrais aller, découvrir des occasions qui pourraient m’être offertes. J’aime me pencher davantage, compter les secondes. Rester suspendue, en attente du corps qui lâche, est très agréable. »
« Le désamour arrive subitement comme une chute, […] ce n’est pas une opposition à l’amour, c’est sa suite possible, tendre. » Le désamour peut être libérateur et généreux : laisser l’autre aller ailleurs : « Le désamour arrive comme une chute, moment de concentration reconfigurant l’espace-temps, comme le point d’arrivée et de départ. Le désamour est généreux – on laisse l’autre s’en aller, son corps autonome, sans nous. […] Une séparation est une étape, une porte […]. ». Elle cite Levinas quant aux rapports humains, de la quête, de la « caresse » vers l’autre : « Dans son Totalité et Infini Levinas parle d’une main tendue qui cherche ce qui n’est pas encore, ce qui est moins que rien. Je regarde mes mains, touche mes lèvres pour sentir ce que Levinas voulait dire en écrivant qu’une caresse marchait à l’invisible. Parlait-il de ce geste inachevé, d’un fil tendu vers quelqu’un qui n’est plus là ? »
Le motif des lignes : géographiques (« Quand je me perds dans des villes inconnues, j’y trouve la mienne, elle apparaît entre deux bâtiments. »), de la main (« Aujourd’hui, j’observe la ligne de vie sur ma main gauche, elle s’interrompt au milieu, paraît si courte. Cette ligne sur ma main droite reprend un peu plus loin. Peut-être n’est-ce qu’une suspension passagère ? »), du destin : « Je vois aujourd’hui des lignes parallèles qui se croisent selon une géométrie non euclidienne, deux vies. » La ligne géographique qui traverse la Russie est évoquée par la traversée de la Russie, trajet que parcourt sa grand-mère à l’époque des dénonciations. Ce grand voyage, à 26 ans, se fait avec une destination incertaine qui fait écho à la narratrice : comme une tradition familiale de voyager et de bouger tout le temps : « Cela me paraît nouveau, étonnant et assez impossible : mon chez-moi est toujours ailleurs, il change tout le temps. » En Biélarussie, l’idée du départ est aussi liée au contexte politique, est ancrée dans la culture du pays : « Sur ma carte intérieure réapparaissent les points de toutes les villes où j’ai habité : Kiev, Saint-Pétersbourg, Paris, Poitiers, Lisbonne, Madrid, Istanbul, Vilnius. […] Puis-je relier tous ces points et trouver celui au centre, un point géographique éloigné d’une façon équilibrée de toutes les personnes que j’aime ? [...] ». L’importance de bifurcation au sein de la ligne est primordiale, c’est l’idée du changement : « Je retrouve dans mon cahier les lignes qui commencent droites, mais ensuite changent de direction, tournent, se cassent. Pourquoi ai-je décidé que les lignes permettaient de comprendre ou donnaient un appui ? Pourquoi mon chemin devait-il être aligné ou logique si je le voulais juste joyeux ? » Plus loin, elle écrit : « Sommes-nous des objets qui parcourent les vies des autres, des corps lumineux de passage ? On trace, on éclaire, on s’évanouit quelque part. »
Il y a une recherche permanente de la suspension, du point avant la chute, chute qui peut servir à rebondir : « Durant cette époque, j’ai fait une stage de danse bungee. J’ai passé un dimanche accrochée à la corde qui rebondissait chaque fois que je me laissais aller, mon corps tombait pour être rattrapé au dernier moment, renvoyé dans la direction inverse, la chute était très agréable. Je n’habitais pas dans un lieu précis, j’essayais d’habiter mon corps. » Plus encore : « C’est si agréable de chuter […]. Je monte parfois sur la pointe des pieds, l’inclinaison de mon axe change, cela me rappelle tous les moments dans ma vie où j’ai dévié de ma trajectoire. », ainsi que « Les histoires nous rattrapent. Elles nous disent ne tombe pas, s’il te plaît, et on ne tombe pas. C’est ainsi que la séparation devient une fête foraine, la chute devient un état à potentialités. »
« Que ferait-on pour arriver à toucher l’autre – on se jette dans l’inconnu, on entre dans son système solaire. On dévie, on croise, ce chemin parallèle rien que pour une caresse imperceptible – celle de l’air sur la peau d’une étoile, un salut de proximité. » Le premier titre de l’œuvre devait être Géométrie désaccordée. D’où l’importance du motif des étoiles, étoiles filantes, constellations (« Une constellation est une configuration de temporalités multiples »), accidents astronomiques, cartes du ciel, du parallélisme entre les astres (« Quand on voir l’astre se lever, on sent que la terre bouge, c’est un repère. ») et êtres :
jeudi 13 juin 2024
Mystère au Fort Bloqué, de Farid Afifi : un premier roman policier local réussi avec brio
C'est l'histoire de Julie et Malik qui enquêtent sur une guerre de gangs, ESUS et Athéna, portant chacun des tatouages d'apartenance à leur groupe, qui règnent sur le marché de la drogue dans le pays lorientais.
Divisé en 29 chapitres, le premier constitue l'interpellation de Dylan, chef du gang ESUS. La victoire se fête au commissariat en même temps que le départ en retraite de Clément, le commissaire, dont les deux jeunes officiers sont très proches. Celui-ci est remplacé par Gildas qui, lui, ne soutient pas son équipe, la critique, s'emporte facilement et adopte des comportements des plus étranges qui déstabilisent Malik et Julie.
Quelques temps après, les officiers de police découvrent la cheffe du groupe Athéna, Leila, assassinée au Fort Bloqué alors que le gang ESUS est déjà en détention. Meutre commandité de prison ? Règlement de compte au sein d'Athéna ? Le Fort va, lui aussi, devenir source de mystère. Les policiers mettent tout en oeuvre, avec Vincent, jeune informatitien, pour tirer cette affaire au clair.
Le roman est constitué d'énormement de dialogues dans lesquels l'auteur s'efforce d'employer le langage adéquat pour chaque protagoniste : langage simple, soutenu ou argot.
L'auteur tient son lecteur sans cesse en haleine car l'affaire est bien plus complexe qu'elle n'y paraît et il s'avère que toutes les ficelles sont liées. Un premier roman d'une grande réussite et, qui comme l'intitule le titre du dernier chapitre "Le début de la fin" ainsi que l'excipit, donnerait-il peut-être lieu à une suite ? Ceci est à espérer.
mercredi 12 juin 2024
Le goût des mères
"Qu'elle suscite la passion, la tendresse, la haine, la rancoeur,
l'admiration ou simplement l'amour, la mère de chair demeure celle dont
le corps fut neuf mois durant notre oeuf et notre nid. Une intimité que
l'absence de souvenirs concrets rend inoubliable." Michèle Gazier
Le goût des mères, publié en 2012 aux éditions du Mercure de France, constitue un ouvrage collaboratif avec des textes choisis et présentés par Michèle Gazier.
L'ouvrage se divise en 4 parties :
- Mères courages, femmes fortes, mères sacrées et sacrées mères
- Mère malade, mère morte
- Mères détestées et détestables
- La mère aimée, admirée
De la libération par l'écriture à la souffrance, ce petit receuil regroupe des extraits d'oeuvres des plus variés. D' Annie Ernaux à Albert Cohen, en passant par Roland Barthes, Elias Canetti, Albert Camus ou en core Boualem Sansal, l'écriture sur la mère est représentée dans tous ses états.
Dans Une femme, publié en 1987, livre consacré à sa mère, tandis que La place est consacrée à son père, Annie Ernaux évoque l'importance du souvenir et sa difficulté à admettre la disparition maternelle : "Dans la semaine qui a suivi, il m'arrivait de pleurer n'importe où. En me réveillant, je savais que ma mère était morte. Je sortais de rêves lourds dont je ne me rappelais rien, sauf qu'elle y était, et morte." "Je ne retrouve ainsi que la femme de mon imaginaire, la même que, depuis quelques jours, dans mes rêves, je vois à nouveau vivante, sans âge précis, dans une atmosphère de tension semblable à celle des films d'angoisse." Admettre la mort et la poser sur papier, comme pour l'ancrer, pour la réaliser, constitue une véritable étape de souffrance : "Il y aura trois semaines demain que l'inhumation a eu lieu. Avant-hier seulement, j'ai surmonté la terreur d'écrire dans le haut d'une feuille blanche, comme une début de livre, non de lettre à quelqu'un, "ma mère est morte"".
Cette souffrance de l'écriture de la mort est omniprésente dans Le livre de ma mère d'Albert Cohen, publié en 1954 : "Souris avec ton deuil plus haletant qu'une peur. Souris pour croire que rien n'importe, souris pour te forcer à feindre de vivre, souris sous l'épée suspendue de la mort de ta mère, souris toute ta vie à en crever et jusqu'à ce que tu en crèves de ce permanent sourire." Ici, la douleur est exacerbée par l'écriture, celle-ci ne l'apaise aucunement. Ceci fait écho chez Boualem Sansal dans Rue Darwin publié en 2011 : " L'homme face à la mort qui emporte la vie qui lui a donné la vie est confronté à un trouble qui dépasse l'entendement même de Dieu."
Chez Roland Barthes, l'oubli, la négation de la mort est une manière de survivre : "Cette absence bien supportée, elle n'est rien d'autre que l'oubli. Je suis, par intermittence, infidèle. C'est la condition de ma survie; car si je n'oubliais pas, je mourrais." (La Chambre claire, 1980).
Enfin, comment ne pas citer le fameux incipit de L'Etranger d'Albert Camus : "Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai recçu un télégramme de l'asile : "Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués". Cela ne veut rien dire". Devant l'absurdité de la mort de sa mère, le protagoniste du roman, Meursault, va provoquer l'absurdité de sa propre vie.
Nombreux sont les écrivains à avoir écrit sur leur mère : avec admiration, joie, tristesse inconsolable, mais aussi rancoeur et haine. La mère reste au centre de l'évolution et de la transformation de l'être humain.
"L'amour d'un père est le plus vaste, celui d'une mère le plus violent de tous; mais l'un comme l'autre sont d'une telle force que l'affection fililale parvient très rarement à les égaler". Pétrarque, Contre la bonne et mauvaise fortune.
lundi 10 juin 2024
Jorge Amado, Bahia de tous les saints : un roman brésilien carnavelesque
Bahia de tous les saints de Jorge Amado, traduit du brésilien par Michel Berveiller et Pierre Houcade, est publié pour la première fois au Brésil en 1935, puis en France en 1938.
L'oeuvre se décline en 28 chapitres, à Bahia, capitale brésilienne du peuple noir des esclaves africains. L'auteur lui-même y est né en 1912.
Il s'agit d'une ville païenne superstitieuse où où l'auteur y décrit les joies et les peines du peuple. Le quotidien de ses habitants ressemble à un véritable carnaval, tant dans le fond que dans le style, ce qui fait toute la richesse et l'originalité de ce roman on ne peut plus burlesque.
La trame de l'oeuvre est menée par le protagoniste principal : Antonio Balduino. Boxe, cirque, solidaire de ses camrades à la grève, Antonio ne manque pas de ressources.
Le roman est rythmé par les noms de personnages les plus rocambolesques les uns que les autres : Zé la Crevette, Augusta-des-Dentelles, Le Gros, Virato-le-Nain... Ce qui s'y passe dans la rue et dans les bars, notamment à "La Lanerne des Noyés", répère de Bahia, relève d'un perpétuel carnaval comme l'on retrouve beaucoup dans les romans d'Amérique latine. La misère est telle mais le style si rocambolesque que le lecteur ne sait plus s'il doit en rire ou en pleurer. Une vraie pépite !
jeudi 6 juin 2024
Le peintre du dimanche, David Zaoui : un roman burlesque
mardi 28 mai 2024
Sofia Lundberg, Un petit carnet rouge : une structure originale au service d'une histoire touchante
"Tout le monde meurt. Les gens s'obstinent à vouloir vivre le plus longtemps possible mais ce n'est pas drôle, vous savez, d'être la plus vieille. La vie n'a plus de sens quand tous les autres sont déjà morts."
Un petit carnet rouge, de Sofia Lundberg est l'histoire touchante de Doris, une vieille dame qui vit seule et dont les seuls liens sociaux sont désormais ceux avec sa nièce, Jenny et ses enfants, avec qui elle communique par vidéo sur son ordinateur, ainsi que le passage à son domicile des différentes auxiliaires de vie.
La structure du roman, avec le découpage des chapitres alternant souvenirs et quotidien de cette femme, noms du carnet biffés, tous emprunts d'une histoire, n'en est que plus originale. En effet, le roman alterne entre le quotidien de cette femme attachante, et les souvenirs de sa vie au travers de ce fameux "petit carnet rouge" offert par son père pour ses dix ans : "Dans ce carnet, tu vas pouvoir réunir tes amis, a dit mon père en souriant. Tous ceux que tu vas rencontrer au cours de ta vie. Dans tous les endroits passionnants que tu vas visiter. Afin de ne jamais oublier".
Et c'est ce que Doris a fait. Elle a scrupuleusement noté les personnes qui ont marquées son existence et a biffé leurs noms lors de leur décès. Chacune de ses personnes représente un moment de sa vie, une histoire. Cette femme, qui a la chance d'atteindre les quatre-vingt-seize ans, se voit néanmoins bouleversée : tout le monde s'en va, trop de noms sont biffés dans le carnet : "Elle a tant de souvenirs [...]. Tous ces gens qui un jour l'ont fait rire ou pleurer ne sont plus que des noms et des prénoms. Les morts changent dans la mémoire de ceux qui restent." C'est alors le moment pour Doris de revenir sur toutes les périodes de sa vie. L'auteure nous livre par ce roman une aventure romanesque des plus sensibles.
vendredi 5 avril 2024
Adrien Parlange, Les printemps (2022) : histoires d’une vie
Avec son livre illustré intitulé Les printemps, publié en 2022, l’auteur nous livre des moments de vie, de ses 3 ans à ses 85 ans : « À 3 ans, je fais quelques pas dans la mer. L’image de mes deux pieds dans l’écume est la première que je garde en mémoire ». « À 85ans, je n’ai jamais autant aimé le printemps. »
Certains évènements de l’âge adulte s font écho à son enfance : « À 30 ans, j’ai un enfant et je réalise enfin que je n’en suis plus un ». La trentaine du narrateur marque également l’évolution de la vie et de sa transmission : « À 32 ans, je fais faire à ma fille ses premiers pas dans la mer » ; « À 34 ans, c’est à mon tour de faire goûter une fraise des bois », ou encore : « À 36 ans, je ne confonds plus les serpents et les orvets.
Ouvert, le livre est construit comme suit : ,sur celle de gauche un dessin sur fond de couleur représentant un moment de vie du narrateur et illustrant la phrase de la page de droite.
De jolies pages cartonnées, découpées de façon à laisser entrevoir des fenêtres à chaque moment de vie.
Le printemps comme renaissance, le printemps suivant comme évolution et nouveau cycle de vie.
Adrien Parlange, artiste français, illustrateur, graphiste et auteur de littérature jeunesse signe ici un très bel ouvrage à posséder dans sa bibliothèque, pour petits et grands.
samedi 16 mars 2024
Jean-Luc Le Cleac’h, L’Hiver, saison de l’esprit : « Nos lectures sont toujours des marqueurs temporels ».
Jean-Luc Le Cleac’h, L’Hiver, saison de l’esprit : « Nos lectures sont toujours des marqueurs temporels ».
« Un espace limité qui contient le monde, c’est peut-être la meilleure définition d’une soirée d’hiver ».
Jean-Luc Le Cleac’h, auteur breton originaire de Concarneau et qui parcourt l’Europe depuis trente-cinq ans emmène le lecteur, avec L'Hiver, saison de l’esprit, publié en septembre 2021 aux éditions de La Part commune, au cœur de ses pensées autour de la saison hivernale : « Dans le silence de l’hiver, c’est là que l’on entend le plus distinctement le cœur battant du monde ».
L’Hiver, saison de l’esprit tend à une ode à l’hiver, prenant la forme d’un essai à tendance philosophique, découpé en huit chapitres thématiques.
Accepter le changement des saisons, c’est aussi accepter le temps qui passe : […] le passage des saisons, la rassurante rotondité du temps que procure la répétition, le cycle des saisons, est venu me délivrer de cette sensation mortifère d’une fuite inexorable du temps ».
L’évocation de la lumière et de l’obscurité est omniprésente :
« L’hiver est une saison de peu de couleurs, qui tend parfois au noir et blanc ».L’hiver, souvent associé à la grisaille et la tristesse, est ici transformé en éloge, éloge du temps qui permet de s’adonner à la lecture et à la réflexion, au coin du feu.
Aussi cite-t-il Flaubert afin d’étayer ses propos :
« Voilà l’hiver, la pluie tombe, mon feu brûle, voilà la saison des longues heures renfermées. Vont venir les soirées silencieuses passées à la lueur de la lampe à regarder le bois brûler et à entendre le vent souffler. Adieu les larges clairs de lune sur les gazons verts et les nuits bleues toutes mouchetées d’étoiles. » (À Louise Collet, le 28 septembre 1846. Lettres à sa maîtresse, Tome 1).
L’auteur recourt à de nombreuses références historiques et littéraires afin d’asseoir et de préciser ses pensées. L’ouvrage est organisé selon différents chapitres tels que « Lumières d’hiver » ou « Voyage en hiver ». Il défend l’idée que l’hiver constitue la saison pendant laquelle il est possible de prendre son temps. C’est aussi celle de la redécouverte de la lecture et celle où il y a le moins d’obligations extérieures :
« Si la lecture évoque l’hiver, c’est sans doute aussi que toute lecture agit comme un renforcement de notre intériorité ; dès lors que nous passons plus de temps à l’intérieur de notre domicile, les deux notions, nouent ainsi, presqu’à notre insu, des liens subtils. »
Ainsi, l’hiver permettrait une sorte de communion littéraire avec la nature, loin du chaos de la société, et représenterait, à ce ce titre, la saison de la tranquillité et donc de l’esprit :
« J’habite l’hiver, lové dans les mots qui le décrivent, le constituent et lui donnent corps. Je me sens bien dans la chaleur et la senteur du bois sec qui brûle, et laisse sur les objets et les vêtements, une odeur discrète, un léger parfum, qui est celui-là même de l’hiver, mieux encore de l’idée d’hiver. ». Cette idée est notamment omniprésente au sein du chapitre « L’hiver : du temps pour soi… et pour les autres. »
L’omniprésence de la nuit en hiver est ici loin d’être anxiogène, bien au contraire. Ces propos de Michèle Perrot, extraits de Histoire de Chambres, résument parfaitement l’idée que se fait l’auteur des nuits hivernales : « Opposé au jour discipliné et soumis, la nuit représente la liberté ».
Aussi l’auteur exprime-t-il avec ses propres mots : « L’imaginaire de la nuit… toutes ces sensations nées ou liées à l’absence de lumière, et qui font que la nuit, toujours, est bien plus vaste que le jour. La raréfaction de la lumière fait naître une profusion de sensations, d’une étendue et d’une profondeur que le jour pourrait à juste titre lui envier. » Il poursuit en écrivant que « la nuit, l’hiver, se renforcent mutuellement l’un l’autre. […] Toujours est-il que le desserrement des contraintes sociales qui accompagne la venue du soir et de la nuit, se conjugue dans ma perception avec les plages de temps libres qu’offre généreusement l’hiver. »
Jean-Luc Le Cleac’h parvient avec brio à emporter le lecteur avec lui dans ses plus profondes pensées et réflexions. Chers lecteurs et chères lectrices, si comme comme beaucoup, l’hiver est pour vous interminable, triste et angoissant, lisez ce petit ouvrage qui vus fera apprécier cette saison avec toutes les vertus cachées qu’elle comporte et que l’auteur parvient à nous transmettre.