samedi 21 décembre 2019

Florentina Postaru - Serge Bloch, Heureux qui, comme mon aspirateur, a fait un beau voyage - Grandir dans la dictature roumaine



    Publié le 6 novembre 2019 aux éditions Bayard, Heureux qui, comme mon aspirateur... a fait un beau voyage – Grandir dans la dictature roumaine relate l’enfance de son auteure en Roumanie, de la dictature de Ceausescu à la chute du mur, son départ de sa ville natale, Tulcea, à Bucarest, puis son arrivée en France. Le livre est divisé en 22 chapitres dont chacun relate une thématique, le tout dans l’ordre chronologique dans lequel l’auteure a vécu les événements.

    Souvent méconnue du grand public, la dictature roumaine est ici décrite, toujours avec le mot juste mêlé d’humour et d’ironie, par divers effets stylistiques, notamment l’accumulation. Outre cet humour omniprésent, l’auteure nous fait découvrir une partie de l’Histoire dont on parle peu, l’URSS et la scission entre Berlin Ouest et Berlin Est étant des sujets plus couramment abordés et étudiés. Ce livre nous rappelle qu’autour de ces grands pays, qu’autour de la politique soviétique, les pays limitrophes de l’Europe de l’Est furent eux aussi touchés par la dictature.

    De plus, l’auteure cherche à démystifier les idées reçues sur son pays et souhaite donner l’image, telle qu’elle en a eu, telle qu’elle l’a vécue. L’’humour fait partie intégrante de son texte, ce qui le rend encore plus juste et touchant. Dans son premier chapitre intitulé « L’accent », elle écrit : « Quand on a la chance de se dire italienne, on attire immédiatement la sympathie : tout le monde aime les pizzas, la Juventus et Sophia Loren. Le nom de mon pays traîne injustement dans de bruyantes casseroles un dictateur délirant, une histoire très douloureuse et quelques idées reçues. »

    Plus qu’une simple autobiographie, Florentina Postaru donne, avec son premier ouvrage, une œuvre touchante et originale. Les illustrations de Serge Bloch qui viennent ponctuer le texte sont toujours très justes et, en plus de l’humour omniprésent par les mots, provoquent davantage le sourire chez le lecteur. Hormis ces fabuleux dessins illustrant l’humour roumain, l’auteure n’hésite pas à ajouter diverses photos de son vécu, de sa famille, de sa vie en Roumanie. 




    Dès la plus tendre enfance, l’auteure exprime déjà le sentiment de la dictature omniprésente dans les écoles : « A l’âge de 4 ans, en franchissant la porte de l’école maternelle, on entrait de plain-pied dans le système du parti communiste roumain. C’est là que j’ai découvert, paradant dans un cadre doré, cloué au mur de la classe, le visage familier, légèrement tourné vers la gauche, du camarade Ceausescu. Le bonhomme qui avait élu domicile dans notre télévision était maintenant chez lui, sur le mur, et nous surveillait toute la journée. » Elle ajoute pour définir cet embrigadement : « On nous endoctrinait le plus tôt possible pour être sûr que nous ne trouverions plus de courage de nous raviser dans notre amour présidentiel. »

    Autobiographique, humoristique et même initiatique, ce récit est, du début à la fin, toujours rempli de surprises. Le lecteur apprend beaucoup de la réalité que fut la dictature de Ceausescu : « De toute façon, à cette époque, on faisait la queue pour tout. c’était devenu une habitude, comme un rituel quotidien de notre existence. » Elle poursuit en ce sens : « Les interminables files d’attente sont à jamais gravées dans mes souvenirs avec cette sensation humiliante de faire la queue tout le temps et pour tout : acheter de la nourriture, des livres, des places de cinéma, changer les bouteilles de gaz ou monter dans le bus. » Les restrictions, la censure, l’autarcie, la propagande sont racontées avec des mots justes, toujours sur le ton de l’humour, ce qui rend les propos d’une situation grave encore plus touchants par l’ironie sur laquelle elle est racontée : « Les restrictions et les règles, imposées par Ceausescu et jamais appliquées à sa propre famille, faisaient partie d’un plan délirant pour économiser et ne rien devoir au reste du monde. Finalement, trop occupé à construire son fameux palais, il n’a pas eu le temps de détruire totalement notre petite ville au bord du Danube et on peut encore trouver quelques jolies maisons dans les anciens quartiers turcs et russes. »  

    Malgré une réalité des plus difficiles, Florentina Postaru parvient toujours à faire sourire le lecteur et n’hésite pas à tourner le dictateur en ridicule : « A cette époque, dans ma ville, Tulcea, il n’y avait qu’une seule chaîne, la TVR, télévision d’Etat, qui diffusait un programme de trois heures par jour, sept le dimanche. Dans chaque famille, l’inventivité des papas était sans limite pour parvenir à capter les chaînes des pays voisins et découvrir enfin autre chose que : Ceausescu visite une école, Ceaucescu visite un hôpital, Ceausescu visite l’armée, Ceausescu visite la Libye, Ceausescu visite une ferme et nourrit une vache, Ceausescu visite le parlement, Ceausescu donne son avis sur tout et tout le monde se soumet à Ceausescu en buvant ses paroles. » Aussi le lecteur peut-il percevoir que le dictateur est partout. Le fait de détailler ses actes, le phénomène de répétition et le ridicule de ses faits et gestes ne peuvent que prêter à sourire malgré l’oppression vécue qui en ressort.

    Un passage plein d’humour est notamment celui où elle explique la notoriété d’Alain Delon en Roumanie, pas tant pour sa carrière d’acteur, mais pour son style vestimentaire : « Et puis, il y avait le ‘must absolu’. Nous l’appelions ‘l’alènedelone’. C’était la pièce maîtresse de toute armoire respectable . Je me demande si Alain Delon, plus connu alors en Roumanie dans la mode qu’au cinéma, a su un jour qu’un manteau portait son nom, ou peut-être devrais-je l’en informer avant qu’il ne nous quitte. » Quoi de plus drôle pour un Français que de lire ceci ! Cette anecdote sur ce fameux manteau, très populaire en Roumanie comme l’explique Florentina Postaru est, pourtant, il semblerait, assez méconnue en France.

    A la chute du dictateur roumain, l’auteure, qui a alors 13 ans, relate la libération que connurent les habitants de son pays : « Dans nos manuels nous avons enfin pu dessiner sur le portrait du dictateur, lui rajoutant moustaches, lunettes et cheveux longs avant d’arracher définitivement la page. C’était, pour nous collégiens, notre premier acte révolutionnaire. » Plus encore, le premier Noël vécu par elle et sa famille, sans Ceausescu au pouvoir, est raconté avec un humour cinglant, témoignant du sentiment de libération qui habite alors la population après des années de dictature : « Ceausescu et sa vilaine femme ont aussi reçu leurs cadeaux : des vraies balles dans leur corps. Nous les avons vus gisant sur le sol et nous étions heureux de les savoir morts. C’était le premier Noël libre. Une nouvelle vie commençait pour nous. »



    Par la suite, elle explique ce que cette nouvelle vie signifie : « Nous apprenions ce que la liberté nous apportait d’essentiel : choisir ! Choisir nos tenues, choisir notre musique, choisir nos danses, choisir nos coiffures, choisir nos couleurs et surtout choisir de rattraper le temps qui nous avait été volé. » Tout est malheureusement loin d’être réglé. Aussi l’auteure écrit-t-elle, lorsqu’elle part s’installer dans son premier appartement à Bucarest : « La propriétaire est une artiste peintre. Comme beaucoup d’intellectuels, elle a quitté la Roumanie tout de suite après la révolution, quand Iliescu, un des proches de Ceausescu, a remplacé le tyran. Elle a compris que son pays, tout juste libéré de la dictature, entamait bien mal sa future démocratie. »

    Le mythe occidental est bien présent en Roumanie, d’autant plus à la chute du mur : « Dans notre petit coin d’Europe de l’Est, nous étions la première génération roumaine autorisée à croquer la vie à pleine dents, comme de vrais Occidentaux ! » Par ailleurs, ce mythe de l’Occident et plus précisément de la France comme pays des libertés, « de l’autre côté » comme le disait le père de l’auteure, se poursuit au travers de ces quelques mots très significatifs et humoristiques : « Je commence à rêver d’aller en France, le pays des libertés, de voir un concert dans un stade comme à la télé, de parler français et de manger enfin un vrai mille-feuille ! » Cette attention portée à ces détails sont on ne peut plus touchants.

    Lors d’un voyage professionnel à Lorient, en 2005, Florentina Postaru explique qu’elle savait qu’elle reviendrait dans cette ville, « au bord de la mer », qui lui rappelait certainement quelque peu sa ville natale, Tulcea. A l’âge de 37 ans, elle franchit le pas et fait le voyage jusqu’en France où elle vit toujours actuellement.

    Heureux qui, comme mon aspirateur... a fait un beau voyage – Grandir dans la dictature roumaine de Florentina Postaru, magnifiquement illustré par les multiples dessins de Serge Bloch, est une œuvre dotée d’une grande originalité. Au-delà du texte et des illustrations, ce livre constitue un très bel objet : la maquette est très travaillée, la typographie des plus agréables, le grammage du papier est de qualité. Avec cette première publication, l’auteure offre à ses lecteurs un grand moment de réflexion, d’apprentissage, d’humour et d’émotion. 

    Chers lecteurs, chères lectrices, un tel objet ne peut trouver qu’une jolie place au sein de votre bibliothèque. Vous l’aurez compris, cet ouvrage est une bouffée d’oxygène, un moment de détente et de sourire sur un sujet pourtant grave que l’auteure parvient à tourner sur le ton de l’humour et de l’ironie, de manière légère, sans occulter la gravité des faits. Au-delà de l’aspirateur de la protagoniste, c’est bien le lecteur qui effectue un beau voyage à travers la lecture de ce récit.




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