Publié
le 6 novembre 2019 aux éditions Bayard, Heureux qui, comme mon
aspirateur... a fait un beau voyage – Grandir dans la dictature
roumaine relate l’enfance de son auteure en Roumanie, de la
dictature de Ceausescu à la chute du mur, son départ de sa ville
natale, Tulcea, à Bucarest, puis son arrivée en France. Le livre
est divisé en 22 chapitres dont chacun relate une thématique, le
tout dans l’ordre chronologique dans lequel l’auteure a vécu les
événements.
Souvent
méconnue du grand public, la dictature roumaine est ici décrite,
toujours avec le mot juste mêlé d’humour et d’ironie, par
divers effets stylistiques, notamment l’accumulation. Outre cet
humour omniprésent, l’auteure nous fait découvrir une partie de
l’Histoire dont on parle peu, l’URSS et la scission entre Berlin
Ouest et Berlin Est étant des sujets plus couramment abordés et
étudiés. Ce livre nous rappelle qu’autour de ces grands pays,
qu’autour de la politique soviétique, les pays limitrophes de
l’Europe de l’Est furent eux aussi touchés par la dictature.
De
plus, l’auteure cherche à démystifier les idées reçues sur son
pays et souhaite donner l’image, telle qu’elle en a eu, telle
qu’elle l’a vécue. L’’humour fait partie intégrante de son
texte, ce qui le rend encore plus juste et touchant. Dans son premier
chapitre intitulé « L’accent », elle écrit :
« Quand on a la chance de se dire italienne, on attire
immédiatement la sympathie : tout le monde aime les pizzas, la
Juventus et Sophia Loren. Le nom de mon pays traîne injustement dans
de bruyantes casseroles un dictateur délirant, une histoire très
douloureuse et quelques idées reçues. »
Plus
qu’une simple autobiographie, Florentina Postaru donne, avec son
premier ouvrage, une œuvre touchante et originale. Les illustrations
de Serge Bloch qui viennent ponctuer le texte sont toujours très
justes et, en plus de l’humour omniprésent par les mots,
provoquent davantage le sourire chez le lecteur. Hormis ces fabuleux
dessins illustrant l’humour roumain, l’auteure n’hésite pas à
ajouter diverses photos de son vécu, de sa famille, de sa vie en
Roumanie.
Dès
la plus tendre enfance, l’auteure exprime déjà le sentiment de la
dictature omniprésente dans les écoles : « A l’âge de
4 ans, en franchissant la porte de l’école maternelle, on entrait
de plain-pied dans le système du parti communiste roumain. C’est
là que j’ai découvert, paradant dans un cadre doré, cloué au
mur de la classe, le visage familier, légèrement tourné vers la
gauche, du camarade Ceausescu. Le bonhomme qui avait élu domicile
dans notre télévision était maintenant chez lui, sur le mur, et
nous surveillait toute la journée. » Elle ajoute pour définir
cet embrigadement : « On nous endoctrinait le plus tôt
possible pour être sûr que nous ne trouverions plus de courage de
nous raviser dans notre amour présidentiel. »
Autobiographique,
humoristique et même initiatique, ce récit est, du début à la
fin, toujours rempli de surprises. Le lecteur apprend beaucoup de la
réalité que fut la dictature de Ceausescu : « De toute
façon, à cette époque, on faisait la queue pour tout. c’était
devenu une habitude, comme un rituel quotidien de notre existence. »
Elle poursuit en ce sens : « Les interminables files
d’attente sont à jamais gravées dans mes souvenirs avec cette
sensation humiliante de faire la queue tout le temps et pour tout :
acheter de la nourriture, des livres, des places de cinéma, changer
les bouteilles de gaz ou monter dans le bus. » Les
restrictions, la censure, l’autarcie, la propagande sont racontées
avec des mots justes, toujours sur le ton de l’humour, ce qui rend
les propos d’une situation grave encore plus touchants par l’ironie
sur laquelle elle est racontée : « Les restrictions et
les règles, imposées par Ceausescu et jamais appliquées à sa
propre famille, faisaient partie d’un plan délirant pour
économiser et ne rien devoir au reste du monde. Finalement, trop
occupé à construire son fameux palais, il n’a pas eu le temps de
détruire totalement notre petite ville au bord du Danube et on peut
encore trouver quelques jolies maisons dans les anciens quartiers
turcs et russes. »
Malgré
une réalité des plus difficiles, Florentina Postaru parvient
toujours à faire sourire le lecteur et n’hésite pas à tourner le
dictateur en ridicule : « A cette époque, dans ma ville,
Tulcea, il n’y avait qu’une seule chaîne, la TVR, télévision
d’Etat, qui diffusait un programme de trois heures par jour, sept
le dimanche. Dans chaque famille, l’inventivité des papas était
sans limite pour parvenir à capter les chaînes des pays voisins et
découvrir enfin autre chose que : Ceausescu visite une école,
Ceaucescu visite un hôpital, Ceausescu visite l’armée, Ceausescu
visite la Libye, Ceausescu visite une ferme et nourrit une vache,
Ceausescu visite le parlement, Ceausescu donne son avis sur tout et
tout le monde se soumet à Ceausescu en buvant ses paroles. »
Aussi le lecteur peut-il percevoir que le dictateur est partout. Le
fait de détailler ses actes, le phénomène de répétition et le
ridicule de ses faits et gestes ne peuvent que prêter à sourire
malgré l’oppression vécue qui en ressort.
Un
passage plein d’humour est notamment celui où elle explique la
notoriété d’Alain Delon en Roumanie, pas tant pour sa carrière
d’acteur, mais pour son style vestimentaire : « Et puis,
il y avait le ‘must absolu’. Nous l’appelions ‘l’alènedelone’.
C’était la pièce maîtresse de toute armoire respectable . Je me
demande si Alain Delon, plus connu alors en Roumanie dans la mode
qu’au cinéma, a su un jour qu’un manteau portait son nom, ou
peut-être devrais-je l’en informer avant qu’il ne nous quitte. »
Quoi de plus drôle pour un Français que de lire ceci ! Cette
anecdote sur ce fameux manteau, très populaire en Roumanie comme
l’explique Florentina Postaru est, pourtant, il semblerait, assez
méconnue en France.
A
la chute du dictateur roumain, l’auteure, qui a alors 13 ans,
relate la libération que connurent les habitants de son pays :
« Dans nos manuels nous avons enfin pu dessiner sur le portrait
du dictateur, lui rajoutant moustaches, lunettes et cheveux longs
avant d’arracher définitivement la page. C’était, pour nous
collégiens, notre premier acte révolutionnaire. » Plus
encore, le premier Noël vécu par elle et sa famille, sans Ceausescu
au pouvoir, est raconté avec un humour cinglant, témoignant du
sentiment de libération qui habite alors la population après des
années de dictature : « Ceausescu et sa vilaine femme ont
aussi reçu leurs cadeaux : des vraies balles dans leur corps.
Nous les avons vus gisant sur le sol et nous étions heureux de les
savoir morts. C’était le premier Noël libre. Une nouvelle vie
commençait pour nous. »
Par
la suite, elle explique ce que cette nouvelle vie signifie :
« Nous apprenions ce que la liberté nous apportait
d’essentiel : choisir ! Choisir nos tenues, choisir notre
musique, choisir nos danses, choisir nos coiffures, choisir nos
couleurs et surtout choisir de rattraper le temps qui nous avait été
volé. » Tout est malheureusement loin d’être réglé. Aussi
l’auteure écrit-t-elle, lorsqu’elle part s’installer dans son
premier appartement à Bucarest : « La propriétaire est
une artiste peintre. Comme beaucoup d’intellectuels, elle a quitté
la Roumanie tout de suite après la révolution, quand Iliescu, un
des proches de Ceausescu, a remplacé le tyran. Elle a compris que
son pays, tout juste libéré de la dictature, entamait bien mal sa
future démocratie. »
Le
mythe occidental est bien présent en Roumanie, d’autant plus à la
chute du mur : « Dans notre petit coin d’Europe de
l’Est, nous étions la première génération roumaine autorisée à
croquer la vie à pleine dents, comme de vrais Occidentaux ! »
Par ailleurs, ce mythe de l’Occident et plus précisément de la
France comme pays des libertés, « de l’autre côté »
comme le disait le père de l’auteure, se poursuit au travers de
ces quelques mots très significatifs et humoristiques : « Je
commence à rêver d’aller en France, le pays des libertés, de
voir un concert dans un stade comme à la télé, de parler français
et de manger enfin un vrai mille-feuille ! » Cette
attention portée à ces détails sont on ne peut plus touchants.
Lors
d’un voyage professionnel à Lorient, en 2005, Florentina Postaru
explique qu’elle savait qu’elle reviendrait dans cette ville,
« au bord de la mer », qui lui rappelait certainement
quelque peu sa ville natale, Tulcea. A l’âge de 37 ans, elle
franchit le pas et fait le voyage jusqu’en France où elle vit
toujours actuellement.
Heureux
qui, comme mon aspirateur... a fait un beau voyage – Grandir dans
la dictature roumaine de Florentina Postaru, magnifiquement
illustré par les multiples dessins de Serge Bloch, est une œuvre
dotée d’une grande originalité. Au-delà du texte et des
illustrations, ce livre constitue un très bel objet : la
maquette est très travaillée, la typographie des plus agréables,
le grammage du papier est de qualité. Avec cette première
publication, l’auteure offre à ses lecteurs un grand moment de
réflexion, d’apprentissage, d’humour et d’émotion.
Chers
lecteurs, chères lectrices, un tel objet ne peut trouver qu’une
jolie place au sein de votre bibliothèque. Vous l’aurez compris,
cet ouvrage est une bouffée d’oxygène, un moment de détente et
de sourire sur un sujet pourtant grave que l’auteure parvient à
tourner sur le ton de l’humour et de l’ironie, de manière
légère, sans occulter la gravité des faits. Au-delà de
l’aspirateur de la protagoniste, c’est bien le lecteur qui
effectue un beau voyage à travers la lecture de ce récit.
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