Un point de divorce particulier entre le
communisme gidien et celui des maîtres de l’U.R.S.S. est celui de
la conception de l’art. L’esthétique gidienne s’accorde mal
avec le réalisme socialiste soviétique. Ce que Gide défend est
précisément ce que l’U.R.S.S. bannit, qualifie de
contre-révolutionnaire et de contraire à la « ligne ».
C’est également le cas d’autres intellectuels tels que Malraux
qui, en prononçant les propos suivants lors d’une réunion des
Écrivains
révolutionnaires, n’est pas très bien accueilli par la critique
soviétique : « L’art n’est pas une soumission, mais
une conquête. Le refus du psychologique en art mène au plus absurde
individualisme. Car tout homme s’efforce de penser sa vie, qu’il
le veuille ou non1. »
Karl Radek2
le qualifie alors de « petit-bourgeois3 ».
En 1935, Gide publie Les Nouvelles Nourritures,
qu’il dédie aux jeunes communistes4,
et dans lesquelles il donne une esquisse de sa conception de l’homme
nouveau :
Ce n’est pas seulement le monde qu’il s’agit de changer ; mais l’homme. D’où surgira-t-il, cet homme neuf ? Non du dehors. Camarade, sache le découvrir en toi-même, et, comme du minerai l’on extrait un pur métal sans scories, exige-le de toi, cet homme attendu. Obtiens-le de toi. Ose devenir qui tu es5.
« Camarade » se
substitue désormais au Nathanaël des Nourritures : « Ô
toi pour qui j’écris – que j’appelais autrefois d’un nom qui
me paraît aujourd’hui trop plaintif : Nathanaël, que
j’appelle aujourd’hui : camarade – n’admets plus rien de
plaintif en ton cœur6. »
Gide se plie ainsi au réalisme socialiste d’U.R.S.S.. L’émotion,
la plainte, n’est plus de mise. Cependant, il est à noter
que sur environ quatre-vingt pages de texte, Gide emploi le terme
« camarade » seulement huit fois... Comme l’observe
Rudolf Maurer, les trois premiers livres « reprennent des
thèmes de 1887, notamment l’appel à la joie de vivre. Ce n’est
que dans le quatrième livre que l’idéologie fait son entrée. […]
Est-ce du marxisme ? À
peine, car le progrès est présenté comme la conséquence d’un
changement de l’homme et, aspect encore plus important, l’appel à
l’action se combine avec l’appel à l’indépendance7,
et au sens critique, contraire à tout dogmatisme8 ».
Bien
que Gide trouvait le concept quelque peu ridicule, il se livra, en
1935, à la description précise de l’emploi du temps d’une
journée9,
à la manière dont le préconisait le réalisme socialiste :
« Suivant une initiative de Maxime Gorki, paraît-il, Gide,
comme d’autres écrivains de la gauche, décrivit minutieusement
cette journée choisie au hasard, afin
de contribuer à une œuvre plus vaste, Une
Journée dans le Monde, œuvre qui
ne fut jamais publiée10. »
Gide pense cependant que sa vision des choses est
compatible avec la littérature de la révolution. Il devient, un peu
malgré lui et malgré son souci d’indépendance (que l’U.R.S.S.
a d’ailleurs trop peu mesuré), un écrivain au service de la
Révolution. Il commence ainsi l’écriture en 1933, d’une pièce
de théâtre : Robert ou l’Intérêt général.
L’intrigue est la suivante : le héros Michel Dormoy est
révolté contre son père Robert, un industriel cynique, qui va
finir par le renier. Le demi-frère de Robert, ingénieur de l’usine,
est quant à lui d’origine prolétaire, et son caractère assez
faible lui fait accepter toutes les compromissions. Les deux enfants
de Boris, Véra (dont Michel est amoureux) et Ivan (meneur des
ouvriers en grève et admiré par Michel) ont tous deux une grande
conscience politique. Le héros rompt avec sa famille et se range
donc du côté du prolétariat, cause qui le mène à sa perte :
lors d’une manifestation, il est abattu par Rabot, le contremaître
aux ordres de Robert. L’engagement de Michel se transforme alors en
sacrifice : idéaliste, le personnage est détaché de ses
origines sociales qu’il renie, mais également du prolétariat
auquel il voue son admiration, mais dont il ne comprend pas les
codes. Le drame de Michel semble être celui de Gide : par haine
de la classe bourgeoise à laquelle il appartient, il se range aux
côtés du prolétariat dans une lutte politique dont il ne connaît
nullement les rouages et dont il ne sera, pour les dirigeants, qu’un
pantin à des fins propagandistes.
Comme il a été dit précédemment, Gide vit un
mal être intellectuel et a le sentiment de ne pas être lu, apprécié
et compris par le peuple français et cherche de nouveaux lecteurs,
et surtout une nouvelle littérature. Or, la tentative de l’auteur
de s’y essayer est un véritable fiasco. En voulant mettre son art
au service de la Révolution, l’auteur vit un échec littéraire,
ce qui renforce sa conviction selon laquelle : « On peut
écrire spontanément une bonne œuvre révolutionnaire, mais on est
perdu si on écrit pour faire une œuvre révolutionnaire11
[…]. » L’échec de sa tentative de réalisme socialiste
résulte de l’emprunt d’une voie qui n’était pas la sienne :
« J’estime que ma grande erreur, et qui donne à la pièce
entière son aspect hybride, et parfois si fâcheusement, vient de
cet effort que je fis de rallier le réalisme. Je dois m’en écarter
résolument, bien au contraire, ainsi que je faisais autrefois12. »
Cependant, en essayant de s’y soumettre artistiquement, l’auteur
reste néanmoins dans une esthétique qui lui est propre : la
peinture de l’individu. Car L’Intérêt général est
finalement moins la peinture de la classe ouvrière, que le drame
d’un bourgeois au sentiment de n’appartenir à aucune classe
sociale. Gide, qui attendait du communisme « l’avènement
d’une littérature joyeuse13 »,
n’a guère été inspiré par la Révolution.
Le 30 janvier 1949, lors de la publication de sa pièce, il constate
son échec : « J’ai mis autant de temps à rater
L’Intérêt
général, [...]
qu’à réussir Les
Faux-monnayeurs14. »
La distance entre les idées de Gide et celles du
Parti communiste n’est peut-être nulle part plus visible que dans
l’emploi du mot « révolutionnaire ». Pour l’écrivain,
le terme de « révolution » est synonyme de
non-conformisme, d’esprit novateur, comme le montre le paragraphe
suivant :
J’écrivais avant d’aller en U.R.S.S. : « Je crois que la valeur d’un écrivain est liée à la force révolutionnaire qui l’anime, ou plus exactement (car je ne suis pas si fou de ne reconnaître de valeur artistique qu’aux écrivains de gauche) : à sa force d’opposition. […] Dans notre forme de société, un grand écrivain, un grand artiste, est essentiellement anticonformiste. Il navigue à contre courant15 ».
Or, la révolution a, pour Marx et Lénine, un
sens bien plus net et historiquement déterminé. L’anticonformisme,
notamment, n’est absolument pas admis dans la société stalinienne
à laquelle Gide rend visite, mais l’écrivain ne semble jamais
conscient du malentendu. Il ne perçoit absolument pas l’absence de
liberté qui caractérise le statut de « révolutionnaire de
profession » attribué à l’écrivain dans les pays
soviétisés, et crée toute une fiction de la correspondance entre
la « révolte » de l’écrivain et les aspirations du
peuple :
[…] jusqu’à présent, dans tous les pays du monde, l’écrivain de valeur a presque toujours été, plus ou moins, un révolutionnaire, un combattant. […] Aujourd’hui, en U.R.S.S., pour la première fois, la question se pose d’une façon très différente : en étant révolutionnaire, l’écrivain n’est plus un opposant. Tout au contraire, il répond au vœu du grand nombre, du peuple tout entier, et ce qui est le plus admirable : de ses dirigeants16.
Il est vrai qu’une note de bas de page précise
« C’est ici que je me
blousais : je dus bientôt, hélas ! le reconnaître17. »,
mais Gide restera toujours en-deçà de la compréhension de la
logique du Parti, pour lequel il ne peut pas y avoir de critique à
l’adresse des cadres, puisque ces cadres possèdent le sens de
l’histoire : critiquer la direction d’un pays communiste
revient à avouer sa position réactionnaire.
S’il vante les mérites de la littérature de la
Révolution, c’est avant tout pour le sentiment d’humanité qu’il
y voit derrière la peinture du réalisme socialiste :
Jusqu’à présent, il me semble (je parle d’après ce que j’en connais) qu’elle est restée en plein combat, ainsi qu’il le fallait d’abord ; et ceci restera le caractère de la littérature de cette époque préparatoire. Elle nous aura donné des œuvres remarquables ; je pense par exemple au roman18 de Cholokhov. Ce livre éclaire admirablement et avec une intelligence profonde la lutte contre les koulaks. Cette lutte appartient désormais à l’histoire. Elle peut se prolonger encore. N’importe ! Bientôt elle aura eu lieu ; et si ce livre continue et continuera pourtant de nous occuper, de nous passionner comme une chose toute présente, c’est en raison de la palpitante humanité qu’il contient : c’est parce que, à travers la lutte précise, réelle, contre les koulaks, ce sont les sentiments, trop humains, d’intérêts égoïstes et sordides qu’il peint, aux prises avec un intérêt supérieur et collectif19 […].
Terres
défrichées
de Mikhaïl Cholokhov a pour thématique la collectivisation des
terres, et donc la lutte contre les koulaks, mais Gide n’y prête
pas grande attention, et emploie le discours du Parti. En effet, tout
comme en matière de politique industrielle, c’est un ignorant en
matière de politique agricole. Jugés individualistes et ne pouvant
être évoqués qu’au service du collectivisme, les sentiments
humains sont loin d’être la priorité du régime soviétique.
Pourtant, ce sont eux qui fascinent l’écrivain français
nouvellement converti. L’intrigue originale passe à ses yeux au
second plan, la lutte envers les koulaks ne lui apparaît que peu
intéressante (« Elle peut se prolonger encore. N’importe ! »).
Or, c’est bien elle qui est représentative du réalisme
socialiste, Cholokhov en étant le modèle dans sa manière de
peindre le réel. De plus, en absence de connaissance des rouages
économiques et politiques du Parti, Gide approuve la lutte contre
les koulaks. Or, il semble ignorer que la collectivisation forcée
des terres entamée dès 1930 est à l’origine de nombreux drames
ruraux et de la grande famine de l’hiver 1932-33. Gide prône ainsi
la suppression des koulaks en tant que classe dans un but
collectiviste, mais dans un sens de partage, de bonheur et de
« communion » des hommes entre eux.
Il est à noter que, quelques mois plus tôt,
l’attitude de Gide vis-à-vis de Cholokhov avait entraîné
quelques vagues chez les soviétiques. La N.R.F. avait publié
le roman de l’auteur soviétique en ayant omis les sept derniers
chapitres. La réponse de Gide à la lettre de mécontentement de
l’écrivain soviétique donna une explication strictement
financière à cette affaire, ce qui n’était pas pour plaire aux
milieux communistes : « La N.R.F., bien décidée à
donner la totalité de l’ouvrage, a arrêté le texte du premier
tome au moment où le coût de la fabrication allait déborder le
prix de vente, reportant la suite sur le volume suivant20. »
Les paroles de l’écrivain français citées précédemment,
seront-elles du goût des soviétiques cette fois-ci ? Il n’en
est pas si certain car, bien que vantant le roman de Cholokhov, Gide
exprime clairement son désintéressement pour la lutte contre les
koulaks qui occupe pourtant plus que jamais l’U.R.S.S. à cette
période.
Ceux
que Gide considère comme de grands artistes sont bannis par le Parti
car qualifiés d’individualistes, de « petit-bourgeois »
et de « contre-révolutionnaires », tout comme il le
serait lui-même. Sa revendication d’indépendance du 22 juin 1935
(à l’occasion du Ier
Congrès des Écrivains
pour la défense de la culture) n’a pas de place en U.R.S.S. :
Et quant à moi, je prétends pouvoir être profondément internationaliste, tout en restant profondément français. Tout comme je prétends rester profondément individualiste, en plein assentiment communiste et à l’aide même du communisme. Car ma thèse a toujours été celle-ci : c’est en étant le plus particulier que chaque être sert le mieux la communauté. Il s’y ajoute aujourd’hui une autre thèse, pendant ou corollaire de la première : c’est dans une société communiste que chaque individu, peut le plus parfaitement s’épanouir21 […].
Aussi, Gide tente de concilier
l’inconciliable, en pensant un « individualisme
communiste » :
Sa tâche [celle de l’U.R.S.S.] est aujourd’hui d’instaurer, en littérature et en art, un individualisme communiste (si j’ose accoupler ces deux mots qu’on a coutume d’opposer, mais à mon avis bien à tort). […] Le communisme ne saura s’imposer qu’en tenant compte des particularités de chaque individu. […] Chaque artiste est nécessairement individualiste, si fortes que puissent être ses convictions communistes et son attachement au parti22.
Les parenthèses montrent que
l’auteur est conscient que le terme d’ « individualisme »
s’accorde mal avec celui de « communisme ». Néanmoins,
il ne voit aucun inconvénient à employer les mots ensemble. Ces
propos sont dignes d’un discours gidien : lorsqu’il dit
qu’un artiste est « nécessairement individualiste, si fortes
que puissent être ses convictions communistes et son attachement au
parti », il exprime clairement le souci d’indépendance de
l’esthète, qui lui est propre, et revient à son idée première
du refus de l’engagement : « Au demeurant parfaitement
inapte à la politique. Ne me demandez donc point de faire partie
d’un Parti23. »
L’auteur utilise un
argumentaire pour le moins simpliste pour se défendre de cet
accouplement qu’il établit entre individualisme et communisme :
« Si
je n’ai pas senti de contradictions entre la position communiste et
la position individualiste, n’est-ce point parce que cette
contradiction reste théorique et factice ? C’est ce dont je
me suis persuadé24. »
Puisqu’il ne trouve pas d’éléments
contradictoires à l’alliance de deux termes, au premier abord
antithétiques, c’est selon lui parce qu’il n’y en a pas...
L’individualisme prôné par Gide, l’idée
selon laquelle l’écrivain doit aller chercher ses sentiments les
plus personnels pour devenir le plus humain possible, c’est-à-dire
la conviction que le plus personnel de l’artiste reflète le plus
grand aspect du collectif, est inacceptable selon la doctrine
léniniste, et encore plus dans l’U.R.S.S. de Staline. C’est
d’ailleurs ce qu’avait répondu à Gide Georges Guy-Grand le 26
janvier 1935 lors d’un débat organisé à l’initiative de Ramon
Fernandez : « On peut se demander si cette définition
serait acceptée par un communiste orthodoxe. Il semble en résulter
que la valeur à laquelle vous tenez le plus, c’est la liberté de
votre personne25. »
Gide y répond en tant qu’esthète et approuve que ce désaccord
entre les deux termes qu’il a employés provient de ses habitudes
bourgeoises :
La chose à laquelle je tiens le plus, c’est mon art. Que l’entente de l’art et de la doctrine communiste soit possible, je veux le croire. Mais il faut avouer que le point d’accord et de fusion, je n’ai su jusqu’à présent l’obtenir – en raison aussi de longues habitudes prises26. […]
L’écrivain manifeste néanmoins une certaine
forme d’opposition ou de distance envers l’U.R.S.S., au sujet de
sa capacité (ou non) à détecter et nourrir les talents :
[…] je me demande avec inquiétude si, peut-être, dans l’U.R.S.S. glorieuse d’aujourd’hui, ne végète pas, ignoré de la foule, quelque Baudelaire, quelque Keats ou quelque Rimbaud qui, en raison même de sa valeur, a du mal à se faire entendre. Et c’est pourtant celui-là entre tous qui m’importe, car ce sont les dédaignés de d’abord, les Rimbaud, les Keats, les Baudelaire, les Stendhal même qui paraîtront demain les plus grands27.
De même, il oscille entre un discours communiste
élogieux, des propos marqués par le doute, puis un discours gidien
opposé à la « ligne ». Maurice Noël rapporte : « Je
l’entends célébrer l’homme nouveau que la Russie
soviétique, paraît-il, enfante présentement, et vouer en mépris
l’homme factice, conventionnel de la civilisation
bourgeoise28 ».
Il cite ces propos de Gide :
Une extraordinaire éclosion d’œuvres littéraires vient apporter ici son témoignage. Œuvres de valeur inégale sans doute ; mais certaines dignes de la considération la plus haute et toutes animées d’un esprit nouveau ; ici l’homme même est changé29.
Déjà, Gide colore ses propos de doute (« valeur
inégale sans doute »), doute qu’il n’est pourtant pas
permis d’exprimer sur les productions soviétiques. Il poursuit
dans la même idée : « Il y a une convention bourgeoise
contre laquelle personnellement j’ai toujours lutté ; mais
osons le dire ici : il peut y avoir également une convention
communiste30. »
L’auteur sent néanmoins qu’il va à l’encontre de la
« ligne », et tente de nuancer ses propos par une
explication maladroite :
Que la littérature, que l’art puissent servir la Révolution, il va sans dire, mais il n’a pas à se préoccuper de la servir. […] La littérature n’a pas à se mettre au service de la Révolution. Une littérature asservie est une littérature avilie, si noble et légitime que soit la cause qu’elle sert. Mais comme la cause de la vérité se confond dans mon esprit , dans notre esprit, avec celle de la Révolution, l’art, en se préoccupant uniquement de vérité, sert nécessairement la Révolution31.
Gide
s’oppose ainsi directement au septième point du statut de
l’Association des Écrivains
Soviétiques :
Le but principal de l’Union des Écrivains Soviétiques est la création d’œuvres d’une grande signification artistique, remplies de la lutte héroïque du prolétariat international, du pathétique de la victoire du socialisme, dépeignant la grande sagesse et l’héroïsme du Parti communiste32.
L’art, et particulièrement la littérature,
représente un outil pour les dirigeants soviétiques. Elle s’inscrit
dans la lutte idéologique et doit servir exclusivement la
Révolution. Exprimer ses émotions personnelles est qualifié de
« petit-bourgeois » et constitue une attitude des plus
contre-révolutionnaires pour le parti. Le mot d’ordre en art et en
littérature, inscrit dans les statuts de l’Association
des Écrivains
Soviétiques dès le 23 avril 193233,
et qui sera annoncé lors du Ier Congrès des Écrivains
Soviétiques en 1934 est le suivant :
Le réalisme socialiste, méthode de base de la littérature soviétique et de la critique littéraire, exige de l’écrivain sincère une présentation historiquement concrète de la réalité dans son développement révolutionnaire. Ainsi la véracité et l’aspect historiquement concret de la représentation artistique de la réalité doivent s’allier à la tâche d’un changement idéologique et de l’éducation des travailleurs dans l’esprit du socialisme34.
Mais
Gide prend le contre-pied direct à la méthode du « réalisme
socialiste », en écrivant dans son Journal dès le 21
février 1932 :
Un communisme bien compris a besoin de favoriser les individus de valeur, de tirer parti de toutes les valeurs de l’individu, d’obtenir le meilleur rendement de chacun. Et l’individualisme bien compris n’a pas à s’opposer à ce qui mettrait tout à sa place et en valeur35.
Émile
Vandervelde pose la question de la notion de « communisme bien
compris chez Gide » et se demande : « mais le
comprend-on ainsi chez Staline ? ». Effectivement, ce serait
justement tout à fait l’inverse. Ainsi ajoute-t-il : « Il
proclama son adhésion fervente à une doctrine qui est très
exactement le contre-pied de cet individualisme protestant qui était
jadis le fond même de sa pensée36. »
1André
Malraux, in
Pascal Sabourin, La
réflexion sur l’art d’André Malraux, Klincksieck, 1972, p.
169.
2Exclu
du P.C. de l’U.R.S.S. en 1927, il est envoyé en Sibérie, opère
un brusque revirement en 1929, est réadmis dans le parti et se
rallie à Staline. Il est, à partir de 1931, un critique majeur de
Moscou et apparaît comme le principal commentateur des événements
internationaux. Il réclame la peine de mort pour Zinoviev et
Kamenev au procès de 1936, et est lui-même condamné la même
année à dix ans de prison où il serait décédé, mais les
circonstances exactes de sa mort demeurent inconnues. Gide
fait d’ailleurs allusion à Radek, au sein d’une parenthèse,
dans ses Retouches :
« Contre Zinoviev, Kamenev et Smirnov, ce que l’on dressera
ce sont leurs camarades de la veille : Piatakov, et Radek ;
on tient à les déshonorer avant de les fusiller à leur tour. »
André Gide,
Retouches à mon
Retour de l’U.R.S.S.,
in
Souvenirs et Voyages,
op. cit.,
Chapitre IV, p. 818. (Par souci de commodité, le titre de l’œuvre
sera abrégé Retouches
dans la suite du mémoire.)
3Karl
Radek
in
« M.
Gide. Orateur », La Lumière,
3 novembre 1934, in
http://www.gidiana.net/articles/GideDetail1917.68.htm. [le
25/01/2013]
4« Jeunes
gens de la Russie nouvelle, vous comprenez maintenant pourquoi je
vous adressais si joyeusement mes Nouvelles Nourritures ;
c’est que vous portez en vous l’avenir. » Retour,
Appendice II, p. 791.
5André
Gide, Les Nouvelles
Nourritures, Gallimard, 1969, p. 269-270.
6Id.,
p. 282.
7« Camarade,
ne crois rien à rien, n’accepte rien sans preuve […]. L’on ne
cherche jamais d’imposer qu’à défaut de preuves. Ne t’en
laisse pas accroître. Ne te laisse pas imposer. » ;
« Ne sacrifie pas aux idoles. » Ibid., p.
274-275 ; p. 283.
8Rudolf
Maurer, André Gide
et l’U.R.S.S., op.cit., p. 78-79.
9Le
27 septembre 1935.
10Rudolf
Maurer, André Gide
et l’U.R.S.S., op.cit., p. 79.
11Cahiers
André Gide,
Association des amis d’André
Gide, Gallimard, 1974, 19 décembre 1934, p. 427.
12André
Gide, Journal,
Tome II, op. cit., 15
août 1935, p. 503-504.
13André
Gide, Littérature
engagée, op. cit.,
« Littérature et révolution », p. 59.
14André
Gide, Journal,
Tome II, op. cit., 30
janvier 1949, p. 1071.
15Retour,
Chapitre V, p. 779.
16Retour,
Appendice I, p. 789.
17Id.
18Gide
parle du 1er volume du roman Terres défrichées
publié en 1932.
19André
Gide, Littérature
engagée, op. cit.,
« Littérature et révolution »,p. 58-59.
20« Correspondance
(Mikhaïl
Cholokhov, André Gide)
», La
Nouvelle Revue Française,
n° 247, avril 1934, p. 165.
21André
Gide,
Littérature engagée, op. cit., « Défense de la
culture », p. 85.
22André
Gide,
Littérature engagée, op. cit., « Message au Ier
Congrès des Écrivains
Soviétiques », p. 55.
23André
Gide, Journal,
Tome II, op. cit., 13
juin 1932, p. 369.
24André
Gide,
Littérature engagée, op. cit., « André Gide et
notre temps », p. 72.
25Id.,
p. 64.
26André
Gide, Littérature
engagée, op. cit., « André Gide et notre temps »,
p. 64.
27Retour,
Chapitre V, p. 784.
28Maurice
Noël, Le Figaro,
1934, in André Gide-Louis Gérin, Correspondance
(1933-1937), édition
établie, présentée et annotée par Pierre Masson, Centre d’études
gidiennes, Université de Nantes, 1996.
29André
Gide,
Littérature engagée, op.
cit., « Littérature
et révolution », p. 57.
30Id.,
p. 57-58.
31André
Gide,
Littérature engagée, op.
cit., « Littérature
et révolution », p. 58.
32Littérature
Internationale, n° 3, 1934, in André
Gide,
Littérature engagée, op. cit., p. 54.
33Décision
du Comité central du Parti Communiste de l’Union (bolchevique) de
supprimer l’Association des Écrivains
prolétaires au profit d’une Union unique sous la forme
d’association, afin de réunir un maximum de « compagnons »
pour construire le communisme. Les statuts de cette nouvelle Union
sont également décidés.
34« Statuts
de l’Union des Écrivains
Soviétiques » in
Claude Frioux,
Le Chantier russe :
littérature, société et politique,
volume 2, L’Harmattan,
2011, p. 88.
35André
Gide, Journal,
Tome II, op. cit.,
21 février 1932, p. 352.
36Émile
Vandervelde,
« La conversion d’André Gide au communisme », La
Dépêche de Cherbourg,
7 janvier 1933, in
http://www.gidiana.net/comm193317.htm. [le 31/03/2013]
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